Comment rendre justice aux invisibles ? Avec justesse, avec 'juste des images' comme disait Godard. 'Le retour des hirondelles', après un début méfiant, commence quand ses deux personnages, Guiying et Youtie, se retrouvent ensemble, pions d'un mariage arrangé, et que le cinéaste peut enfin filmer son sujet : la tendresse au travail. Pas de séduction, pas d'érotisme, le couple est parce qu'il doit être. Et donne une leçon aux couples qui sont parce qu'ils le veulent. Youtie n'a que sa sueur puis son sang à offrir aux yeux des autres, de ses mains calleuses il abat sa besogne, ferré à sa terre ('contrairement aux plantes nous avons des pieds et nous pouvons marcher. Mais pour aller où ?'). Il a désormais noué à sa ceinture Guiying la marginale, handicapée et incontinente.
Li Ruijin filme les corps au travail, construisant une maison à soi - sublimes scènes des briques - semant les graines, redressant les pieds de maïs, moissonnant le blé. Gestes antiques et amour de la matière. Il filme ces âmes en quête de repos, se couvrant du regard ou d'un manteau, s'attendant sur le pont, se marquant la peau d'une délicate fleur, guettant les signaux de la natures. Bonheurs simples et enfantins. Il filme surtout cette extrême pauvreté trop peu vue au cinéma : les vêtements, le manque de soins, la mise au ban, la soumission.
Guiying rêve d'une télé dans son salon, chez une voisine elle regarde avec fascination un simple reportage animalier. Quand le couple visite un appartement neuf construit dans le cadre d'un programme de lutte contre la pauvreté, ils sont filmés par des journalistes comme une espèce en voie d'éradication. Guiying se cache, comme agressée, et Youtie répond à la caméra : 'Cet appartement est bien pour les humains mais pas pour les animaux'. Ce sont les hirondelles qu'il sauve, c'est son âne qu'il veut libérer du travail forcé, c'est son sang qu'il donne au maître des terres, c'est Guiying qu'il aime et protège. En toute dignité, en toute tendresse. Combien de Youtie et de Guiying en ce monde ? Et l'on repense à Simone Weil : 'Pour se rendre invisible, n'importe quel homme n'a pas de moyen plus sûr que de devenir pauvre'. Merci au réalisateur de leur donner un peu de lumière.