Le Roi et l'Oiseau, ou comment la poésie rencontre l'humour

Revu seize ans après, des étoiles plein les yeux, des émotions plein le cœur et des petits cris candides d'enfants plein les oreilles, tout un monde resurgit à ma mémoire.
Je me demande comment j'ai pu adorer ce film à l'âge de trois ans et m'en souvenir par bribes depuis cet âge-là, ses couleurs, ses personnages et sa musique. En fait, je me reprends : je comprends tout à fait tellement ce film est envoutant, et je saisis maintenant tout un tas de choses qui m'avaient complètement échappé. Un film fait a priori pour les enfants, mais sans être infantilisant grâce à de multiples références imperceptibles à cet âge-là et un charme qui fait mouche, même l'âge de raison passé. Loin de la simplicité, le film évite par exemple l’écueil du manichéisme en évoquant des touches authentiquement attendrissantes pour le Roi et en montrant la démagogie de l’Oiseau.


Quand on regarde ce film, on a l'impression que toute la poésie du monde y est contenue, tant se dégagent des impressions mêlées de délicatesse, de grâce et de fraicheur. La séance commence sur un champ sans guère de perspective, si ce n'est au loin un tas de ruines, et sur un oiseau chamarré qui se présente et fera office de narrateur. Déjà, une mélodie envoutante s'est immiscée sans que l'on ne s'en rende compte et les ruines se sont muées en un château arachnéen : le rêve est là, il nous attend, laissons-nous subjuguer. Rien que le nom du Roi, Charles Cinq Et Trois Font Huit Et Huit Font Seize de Tachycardie, nous fait sourire et rêvasser et représente à lui seul à la fois l'humour et la poésie qu'a su insuffler Prévert au film et à son texte. Seconde après seconde, le film nous emporte dans l'univers du conte, hors de nous ; à notre insu nous plongeons dans l’écran. Certains moments spécifiques sont particulièrement dans cette veine poétique : la découverte visuelle du château (qui a parlé de Miyazaki ? non ? bon, je croyais avoir entendu), l'émerveillement devant la nuit étoilée de la Bergère et du Ramoneur lorsqu'ils sortent à l'air libre, la chanson des oisillons sur le monde et ses splendeurs, les questions ingénues des deux enfants sur les "pourquoi" et "comment" de l'univers, le comportement de l'Aveugle musicien...

Mais ce film ne se regarde pas seulement, il s'écoute. La musique de Kilar (qui a également composé pour Coppola dans Dracula et beaucoup pour Polanski dans Le Pianiste par exemple) transcende, si besoin était, les images. Collant parfaitement aux différentes séquences narratives et visuelles, elle alterne partitions railleuses et narquoises et mouvements rêveurs et lyriques.


Deuxième trait marquant, l'humour. Dérision ou sarcasme, gouaille ou verve, burlesque ou grotesque, il imprègne le film sous toutes ses formes. Si l'on n'éclate pas de rire en criant à la farce, on se prête souvent à sourire. Tous les pièges et trappes du palais (‘’prison d’Etat, prison d’été, prison d’hiver, prison d’automne et de printemps’’), la posture du Roi, son strabisme, la vieille statue fatiguée et le portrait, la police d’état… Grimault reprend des topoï et les tourne en dérision en allant au bout des choses. Je pense ici à la propagande et la production en chaîne des statues qui ne sont pas sans rappeler un certain Monsieur Charlie Chaplin, à la fois dans Le dictateur et Les Temps Modernes. Mais Grimault est à Chaplin ce que le sourire est au rire.


Enfin, de nombreuses références jalonnent le film qui, plus qu’un conte, est aussi une dénonciation. En vrac : culte de la personnalité et propagande à la sauce Hitler ou à la vinaigrette Staline (rayer la mention inutile), prise de pouvoir de l’Etat totalitaire sur l’art qui en devient industriel (contraste des deux facettes de l’art entre le taylorisme sans vie et les tableaux qui prennent vie), standardisation et fordisme dans une France, critique sociale. Des policiers qui ressemblent pas mal aux Dupont-Dupond d’Hergé, ‘’Arbeit macht frei’’ dans la bouche du Roi, King Kong par le robot, le Penseur de Rodin par le robot encore (méditation sur la destruction à la fin du film et la finalité du conflit Oiseau-Roi) , une dichotomie villa basse-ville haute qui rappelle furieusement Metropolis avec la même métaphore verticale, la musique de l’aveugle qui dompte les fauves à l’image d’Orphée…


I think we got a ten.
RandomDude
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Créée

le 9 juil. 2013

Modifiée

le 10 juil. 2013

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RandomDude

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