« Le roi et quatre reines » est un western de Raoul Walsh qui tient un peu du croisement entre « Ma Dalton » et « Les Proies » de Don Siegel. Clark Gable est Dan Kehoe, un escroc solitaire sans foi ni loi, qui entend par hasard parler du ranch McDade, tenu d’une main de fer par "Ma" McDade, la mère de quatre hors-la-loi redoutables qui y ont dissimulé leur butin de guerre, une fortune considérable. En attendant le retour de ses fils, dont au moins trois sont présumés morts, "Ma" protège le trésor et surveille ses quatre accortes belles filles, veillant ainsi sur les possessions de son hypothétique rejeton survivant. Kehoe, par l’odeur de l’or alléché, débarque au ranch, et entend bien débusquer le trésor, même s’il lui faut pour cela composer avec les cinq individualités très marquées de la ferme.


Le film est produit par Clark Gable, et on imagine qu’il a fallu au moins cela pour qu’on consente à lui donner ce rôle de type si viril que les magnifiques veuves du ranch se jettent sur lui… parce qu’à 55 ans, il est un peu décati. En réalité, le ton du film est plus sarcastique et l’attraction physique est totalement absente des relations entre les personnages : qu’on ne s’y trompe pas, si lui courtise les belles, c’est pour découvrir l’emplacement de l’or. Quant à elles, elles ne cherchent qu’un partenaire de crime pour enfin fuir la tyrannie exercée par "Ma" McDade et le retour de moins en moins probable de leurs gangsters d’époux. Les deux ans d’abstinence forcée créent également une tension sexuelle qui rend un peu plus crédible le postulat du film.


Le film est intéressant dans sa manière d’aborder des thèmes assez noirs avec une légèreté qui confine au cynisme. Il n’y a pas un personnage pour rattraper l’autre. Kehoe est un type sans scrupules qui ne cherche qu’à dérober un trésor sur lequel il n’a aucun droit… mais, voler un voleur est-il un crime ? Le shérif lui-même est totalement corrompu et ne cherche qu’à s’emparer du trésor. Que dire des quatre veuves, qui ne sont restées au ranch que dans l’espoir de plus en plus maigre de voir revenir un jour leur époux pour profiter de l’or ! Les personnages sont étonnamment lucides sur ce qu’ils valent : ils admettent franchement et crûment n’agir que pour le gain qu’ils peuvent en tirer. La seule exception notable est "Ma" McDade, vieille femme vertueuse pour qui la famille passe avant tout… Même si, à son grand désespoir, ses quatre garçons sont devenus des despérados sans espoir de rédemption, son devoir lui commande de les soutenir en toute circonstance.


L’actrice qui joue la mère est très convaincante dans le rôle – s’agissant du personnage le plus intéressant et original du film, c’est une bonne chose. Clark Gable n’est pas mon acteur de prédilection, mais il s’en tire honorablement, et sa moustache me paraît nécessaire pour ce type de héros. Quant aux quatre veuves, si on excepte la blondasse peinturlurée à la voix de crécelle qui fait très poufiasse, elles sont chacune caractérisée de manière relativement intéressante, même si elles sont principalement réduites à deux ou trois traits de caractère : la brune sulfureuse, la blonde innocente, la rousse manipulatrice. L'une d'entre elles se révèle un peu plus intéressante par la suite... On remarquera qu’au final, l’homme choisit celle qui est la plus fûtée et qui a le plus de répondant, et non la plus "pure" ou la plus "pulpeuse".


Il s’agit d’un western assez mineur mais qui fonctionne très bien : son ambition est limitée mais tout ce qui est tenté par Walsh est réussi. Les interactions entre les personnages font le sel du film. La fin est un peu expédiée, mais délicieusement amorale. C’est peut-être finalement ce qui me convainc le plus ici : les westerns qui offrent des beaux rôles à des femmes ne sont pas si rares que ça, mais les westerns qui permettent le triomphe final d’un personnage – ou de personnages – sans aucun scrupule ni morale sont rarissimes.

Aramis
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le 28 juin 2017

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