Dès les tout premiers instants du film, Michael Curtiz glace le spectateur avec une surprenante éruption de violence puis dissémine de nombreux indices qui ne laissent que très peu de doute sur l'auteur du crime qui vient d'être commis : Mildred Pierce, la femme de la victime. Les premières saillies formelles qui accompagnent cette entrée en matière sont un régal pour les yeux. J'ai beaucoup aimé la manière dont l'étau de la culpabilité semblait se resserrer sur un personnage apparemment innocent. Ces habiles jeux d'ombres projetées qui soulignent parfaitement que l'impasse de l'esprit semblait rejoindre celle du corps.
Si l'enquête policière reste le fil rouge narratif qui soutient ce film noir, l'histoire est davantage tournée vers le parcours Mildred qui se dévoile par de longues séquences de flashback. Un double exercice parfaitement maîtrisé qui nourrit un brûlot social à la fois riche, engagé et surtout agréablement nuancé. Mildred devenant un double symbole ; celui d'une femme forte qui sut s'émanciper de l'autorité patriarcale qui l'enfermait littéralement dans sa cuisine; celui d'une self-made-woman qui est parvenue à faire fortune grâce à son intelligence et à la sueur de son front. Sur fond de lutte des classes, elle navigue tant bien que mal dans ce milieu hostile corrompu par l'argent où se côtoient des femmes vénales et des rentiers qui érigent l'oisiveté comme un art de vivre. La future veuve n'en reste pas moins faillible et humaine, l'intarissable amour qu'elle ressent pour ses deux enfants étant à la fois sa force et sa faiblesse. Toute la dynamique qui entoure la relation mère-fille se révélant être le point central parfaitement incarné par les sublimes Joan Crawford et Ann Blyth.
Si Curtiz s'assagit légèrement au fil de l'avancée de l'intrigue, il ne perd en rien son efficacité et parvient adroitement à maintenir la tension initiale. Il nous régale tout de même avec quelques fulgurances qui marquent bien le fossé qui sépare les modes de vies de ses différents personnages.