Cavale père-fille

Bravo à Julien Colonna qui propose un premier long-métrage d’une incroyable maîtrise, fortement inspiré de ce à quoi il a pu assister durant son enfance et permis par son ADN corse. Et on sent fortement le côté vécu avec le souci du détail et de réalisme qui imprègne « Le Royaume ». Il nous montre également ici à quel point il manie avec brio la grammaire cinématographiques et tous les outils mis à disposition par le cinéma. Cousin plus mémorable et impactant du film de traque corse « Le Mohican » qui sortira en février, voilà un suspense dramatique qui nous immerge avec un réalisme brut au sein d’un clan de la mafia corse. Mais cela ne sera que le décorum et le contexte - certes très bien représenté - d’une relation entre un père et sa fille. Lui, chef de clan qui devient un homme à abattre, et elle qui découvre ce monde très masculin et sa dangerosité. Au final, les deux pendants du script sont admirablement exploités, se répondent même, et on est aussi bien captivé par la fuite de cet homme au sein de cet engrenage de vengeance infini entre clans que la très belle relation filiale qui irradie le film.

Le début peut paraître un peu lent et monotone mais « Le Royaume » est une œuvre qui prend son temps et qui nous plonge dans un microcosme singulier par le biais du regard d’une jeune adolescente. C’est donc taiseux et fortement basé sur l’observation et l’écoute. Puis, plus l’étau se resserre sur le père, plus celui-ci va se rapprocher de sa fille et plus on sera happé par cette histoire. Aussi bien sur le versant thriller sous tension que sur celui, plus émotionnel, décryptant les beaux rapports tissés entre ce patriarche qui doit compiler avec sa stature d’homme de pouvoir corse (et la dangerosité qui va avec) et son rôle de papa. Sur ce point, une longue scène de dialogue entre les deux à priori anodine va devenir de plus en plus intense et révélatrice. Un beau moment de cinéma, simple et complexe à la fois, qui synthétise le propos du film et cristallise le fameux royaume créé entre les deux personnages.

Colonna a choisi une bande d’acteurs non professionnels qui jouent presque leur propre rôle quand bien même le film se déroule dans les années 90, période où les attentats et les vendettas entre clans faisaient les choux gras des médias. Ils sont tous parfaitement castés, forcément parfaits et bien dirigés, inscrivant « Le Royaume » dans une véracité et un naturalisme méritoire pour un film qui ne pouvait souffrir d’approximation à ce niveau. Même constat pour les scènes de violence : brèves, sèches et anti-spectaculaires, elles transpirent le réel et le vrai. Plus le long-métrage avance, plus la tension est à son comble et certaines séquences nous scotchent même sur notre siège par leur imprévisibilité et leur dureté. Le duo magnifique entre Ghjuvanna Benedetti et Saveriu Santucci est impeccable et nous fait croire en leur relation. Ce film typiquement corse qui prend ce qui peut caractériser l’Île de Beauté dans ses pires travers comme toile de fond est un petit coup de maître qui ne diabolise pas pour autant la région, au contraire. Une œuvre inaugurale maitrisée de bout en bout et qui imprègne durablement les esprits et parle en parallèle du fatalisme et du déterminisme inhérent à la vengeance et aux poids des traditions familiales.

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