Diantre, ce sont des films comme ça qui font vraiment aimer le cinéma. Des films qu'on aime profondément, sans aucune limite. J'aime tous les films, même les mauvais, parce que ça reste toujours un moment magique, une évasion par rapport à notre monde, mais quand la qualité est au rendez-vous c'est encore mieux. Je précise quand même qu'il faut des mauvais films pour rythmer les sessions ; le terme 'bon' n'a de sens que parce qu'il y a 'mauvais 'existe'. Il ne faut pas non plus réduire les mauvais films à cette comparaison, ils ont aussi l'avantage de nous apprendre pas mal de choses sur le cinéma, des choses de l'ordre de ce qu'il vaut mieux ne pas faire. Et puis un voyage reste toujours un voyage et donc une découverte. Mais pour en revenir au film de Clouzot, film que je n'avais encore jamais vu et que j'ai repoussé plusieurs fois ces derniers jours à cause de la longueur, je me suis mangé une sacré claque ; le film répond à mes attentes à tous les points de vue, alors que demander de mieux. J'ai hâte de voir la version de Friedkin qui est elle aussi bien vue.

Le scénario est ici finement orchestré. Les personnages priment. Premier coup de génie : les deux personnages principaux ne sont pas des anges. En cela les auteurs se montrent jusqu'au-boutiste, ce qui fait plaisir. Ce qui démontre aussi qu'il n'est pas nécessaire de faire du héros un mec sympa pour qu'on puisse s'identifier à ce qui lui arrive (Hitchcock se tue à le répéter). Puis il y a l'évolution qui s'avère juteuse. Pas de quoi sauver les personnages réellement, on sait bien qu'ils restent des salauds, mais ça a de quoi retenir l'attention. Et presque faire regretter la conclusion pour chacun. L'histoire avance donc au gré des querelles mais pas seulement ; si les conflits n'étaient que de l'ordre de la psychologie, le film aurait pu vite devenir ennuyant. La réussite c'est d'avoir pu alterner conflits internes et externes, parfois l'un s'appuyant sur l'autre. Et enfin, ce qui est appréciable, c'est que les auteurs prennent leur temps. L'histoire ne commence réellement qu'après 40 minutes de présentation des personnages, de la situation, du contexte.

La mise en scène est solide. J'aime ce genre de films dont on pourrait reprocher quelques maladresses. Evidemment j'aime quand l'esthétique clinque, comme dans 'The Fountain', mais j'ai une préférence pour ces plans sales. Peut-être pour ça que j'aime bien les films des années 70. Ici évidemment, au vu du sujet, ça ne pouvait pas sentir la rose. Sueur, cambouis, nitro, ... Et puis un découpage efficace, où les plans sont variés, avec ce qu'il faut de gros plans pour faire monter la tension (le camion coincé sur le petit ponteau de bois par exemple, ou encore ces plans sur cette jambe écrasée). Finalement, c'est une esthétique que l'on pourrait facilement qualifier de très américaine, mais maîtrisée. Ce n'est pas la bête imitation, celle que l'on applique sans réfléchir ; Clouzot sait ce qu'il doit montrer pour que la sauce prenne.

Enfin, les acteurs. Gabin a refusé le rôle de Jo sous prétexte que ses fans ne paieraient pas pour le voir interprêter un couard. La raison fera sourire mais le choix n'est peut-être pas si bête que ça. Gabin en lâche ça aurait sonné faux. Après, ses fans, on s'en fout, et je trouve ça un peu minable de s'en servir comme excuse pour refuser un rôle. Mais bon de toutes façons on est tous contents comme ça, parce que Charles Vanel, il a une bonne gueule, et sa lâcheté on y croit autant qu'à sa fierté du début. En face un jeune Montand dans un premier rôle dramatique. Au début je l'ai trouvé grimaçant et puis je n'y ai plus pensé, comme si au fil des séquences il est parvenu à s'imposer. On remerciera Clouzot aussi de nous avoir laisser mater sa femme, Véra CLouzot. Et oui, cette jolie demoiselle qui montre son cul et son décoleté n'est autre que la madame du monsieur. Mignonne et pas mauvaise actrice malgré qu'il s'agisse de son premier film et qu'elle ne jouera que pour son mari.

Bref, 'Le salaire de la peur' est un thriller qui fonctionne grâce à un très bon scénario et une bonne mise en scène. J'ai maintenant envie de voir le film de Friedkin mais aussi de découvrir le bouquin qui, je suppose, est plus riche au niveau de la psychologie. Evidemment, ce ne sera pas pour tout de suite de peur que cette découverte me gâche un peu celle des deux autres.
Fatpooper
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le 12 juil. 2013

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Fatpooper

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