Quatre hommes au passé pas très net attendent sans véritable objectif dans une petite bourgade d'Amérique centrale. Un puit de pétrole prend feu et la Southern Oil Company décide de verser $2.000 à chacun des quatre chauffeurs qui conduiront les deux camions transportant de la nitroglycérine jusqu'au point de forage.
Question récit, c'est à peu près tout. Cette péripétie ultra simple suffit à Henri-Georges Clouzot pour dénoncer les pires bassesses des hommes. Personne n'est franchement sympathique dans cet endroit reculé. Les dirigeants de la Southern Oil Company versent une somme dérisoire afin de sauver leur exploitation ($2.000 de 1953 valent environ $20.000 en 2021), les conducteurs les plus forts (ou les plus fous au choix) n'hésitent pas à rabaisser et frapper leurs collègues les plus faibles, et la femme restée au village n'éprouve aucune peine, tant que son homme revient sain et sauf.
Tragédie en deux actes, la première partie du film, peu rythmée et relativement longue, ne sert qu'à rendre crédibles les réactions des protagonistes et faire écho au stress intense de la seconde partie du récit. On se retrouve alors à scruter la vitesse minimale à tenir afin de ne pas causer de tremblements. Les passages en montagne annoncent le pire et la traversée d'une marre de pétrole nous rappelle la force visuelle du cinéma. Enfin, rarement une scène de roulage de cigarette n'aura créé une telle tension.
On peut tout de même regretter la faiblesse des dialogues (qui rendent la première partie plus bavarde assez difficile à appréhender) ou encore le manque de crédibilité de la scène finale.
Il reste qu'il ne faut pas bouder son plaisir devant une telle œuvre. Le duo Yves Montand / Charles Vanel est particulièrement intéressant et il s'agit probablement de l'un des plus monumentaux road-movie que le cinéma français ait livré. Malgré la présentation de quatre chauffeurs aux intérêts complètement distincts, Henri-Georges Clouzot démontre que la nécessité permet de faire naître un sentiment de camaraderie sincère, même si celui-ci n'empêche à aucun moment de commettre des atrocités.
Le film a subi une censure partielle aux Etats-Unis lors de sa sortie en 1955 pour "anti-américanisme", ce qui se comprend aisément quand on voit la description acerbe de l'exploitation par la Southern Oil Company (société pourtant fictive) des chauffeurs désargentés.