Il a un oiseau dans le cœur, et une cage pour éviter de le voir partir. C'est que l'amour, c'est comme le jazz : bordélique. Ça part dans toutes les directions, prenant des chemins dissonants, imprévus, au point où on a parfois l'impression que ça ne va nulle part. Mais lui, il sait toujours où il va, avec ses idées derrière la tête pour surveiller ses arrières. Comme il le dit lui-même à ces joueurs hasardeux qu'il ne considère pas vraiment comme des amis, il ne perd jamais. Jamais vraiment.
L'application avec laquelle il construit son existence ne laisse plus aucune place au hasard, évitant soigneusement d'être reconnu pour ce qu'il est réellement. À force de le voir se fondre dans le décor, les gens se demandent d'ailleurs souvent si c'est bien lui lorsqu'ils le croisent. Peut-être nous le reconnaîtrions plus facilement si l'on croisait ses yeux azurs, miroirs d'un ailleurs enfermé. Un rêve battant des ailes pour tenter de s'envoler, enfin.
Des personnes pour chercher à le connaître, ça manque pas pourtant. Il en est même poursuivi, jusqu'à devoir les semer dans des couloirs souterrains. Et quand quelqu'un s'infiltre enfin chez lui, son oiseau panique. On aurait pourtant pu croire qu'un peu de compagnie égayerait sa journée. En même temps, quand on manque de se faire assassiner par ceux qui savent qui on est, ça donne pas envie de se mettre à nu. Encore moins devant cette fille. Elle peut bien l'aimer, lui sait bien que cet amour s'écroulerait dans l'instant s'il s'échappait du fantasme. La solitude est un piètre prix à payer pour ne pas perdre.
Enfin débarrassé de celui qui le voulait mort, il s'est rendu compte que lui aussi avait un oiseau dans le cœur, et une cage dorée pour éviter de la voir partir. Elle joue du piano, mais ça ne l'empêche pas de le regarder dans les yeux. Il y a des regards qu'on n'oublie pas facilement. Elle a compris qui il était, et mieux encore, elle s'en fiche.
Enfermée, ça ne lui laisse guère le choix que de le trahir. Après tout, personne n'a envie de perdre. Mais il y a des yeux qui valent le coup qu'on s'y plonge jusqu'à la noyade : il est donc parti, avec seulement une fleur dans son fusil. J'espère juste qu'il n'a pas oublié de libérer son oiseau de sa cage avant de s'en aller. Un oiseau qui meurt sans avoir pu voler librement, c'est trop triste pour ce monde toujours gris.