Le samouraï est la rencontre d'un metteur en scène et d'un acteur dont le destin était de se rencontrer.
Jean-Pierre Melville, homme sombre et glacial, habité par la solitude, la nostalgie et la mort ne pouvait que rencontrer le flic solitaire, le voyou, l'insoumis, Alain Delon lui-même.
Dans une chambre dépouillée, la nuit de Paris enfantera un tueur de sang-froid au feutre impeccable qui manie le revolver sans laisser de traces, avec la précision d'un metteur en scène qui soigne le cadre et la photographie avec un perfectionnisme maniaque.
On en oublierait presque l'histoire au profit de l'atmosphère et des détails. Le bouvreuil qui meuble l'épaisseur du silence, la musique de François de Roubaix, le trousseau de fausses clés pour démarrer les DS volées, le changement des plaques dans un garage semi-clandestin. Film noir avec en exergue et en gage de rigueur un code du Bushido inventé pour la circonstance. « Il n'y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï... » et totalement inversé dans les faits: l'immoralité et l'individualisme à la place de l’honneur et de la loyauté du Bushido. D'un vrai samouraï il ne subsiste que la parfaite maîtrise de soi dans les situations extrêmes.
Certes le film n'est pas entièrement une épure artistique dédiée à un tigre solitaire. La tension redescend au fil des confrontations entre policiers et témoins ou au travers de la pose du mouchard derrière les rideaux. Mais la couse-poursuite dans le métro, le club de jazz, les yeux de Cathy Rosier, injustement méconnue, et surtout la mort choisie digne du seppuku d'un samouraï relèvent le film au niveau des tous meilleurs films noirs.
L'un des meilleurs Melville, qui a pu réaliser là son rêve américain, en dépit de l'incendie de ses studios de la rue Jenner. Et le meilleur rôle d'Alain Delon, ce qui n'est pas rien.