Jean-Pierre Melville signait ici un polar psychologique de haute tenue, une méditation sur la solitude du tueur, un portrait fascinant où Alain Delon, remarquablement dirigé et portant le feutre avec élégance, trouvait dans ce personnage de glacial Jeff Costello, son rôle le plus mémorable et en même temps son meilleur.
Melville excellait à faire vivre le milieu des truands, à créer un réalisme social et psychologique sur des thèmes de série noire, mais dans ce film, c'est différent, il ne s'intéresse qu'à un homme solitaire, un tueur méthodique et froid retranché dans son propre univers. Jeff Costello est un fauve tapi au sein de sa petite chambre, prêt à bondir à la moindre alerte, qui n'a pour seule compagnie que son bouvreuil en cage, gardien de ce repaire, et dont le comportement indique à son patron si un importun approche de chez lui. Toute cette solitude et cette attitude aux aguets sont symbolisées par la scène d'ouverture où Jeff est allongé sur son lit, en attente.
Silencieux, rigoureux, le regard froid, sans expression, avec une forme de noblesse qui le rachètera dans la mort qu'il s'est choisie, Jeff est victime de son destin. La mise en scène dépouillée à l'extrême, exprime les mouvements de ce destin, le jeu minimaliste de Delon, les longs silences sans dialogue, tout ceci crée une étrange atmosphère qui rappelle beaucoup Tueur à gages de Frank Tuttle, où Alan Ladd incarnait un tueur solitaire et dont Melville s'est sans doute inspiré, en bon connaisseur du cinéma américain ; mais le film est quand même vaguement adapté d'un roman de Joan McLeod, The Ronin.
Un des plus grands polars à la française, digne des polars noirs US car très inspiré du cinéma hollywoodien, l'un des très grands films de Melville, fort, rigoureux, épuré, et qui atteint une rare intensité. A voir absolument !