Avec Le secret de la cambre noire, Kiyoshi Kurosawa expérimente quelque chose qui n’est pas très éloigné de ce qu’a pu faire Paul Vehoeven dans Elle avec un certain cinéma bourgeois français.
Ici le cinéaste rentre par une petite porte pour explorer le drame d’auteur français et le dérégler. Mais la comparaison s’arrête là, car si le dérèglement engendré par Verhoeven aboutissait à une implosion jouissive de tout le cœur et le corps de ce cinéma ici ce dérèglement se fait de façon douce, comme si le magma fantomatique du cinéma de Kurosawa recouvrait au fur et à mesure les plans, en détraquant la narration, les dialogues, le jeu d’acteurs.
Le petit drame qui se joue ici tourne autour d’une vieille demeure en banlieue parisienne. Elle est habitée par un photographe, incarné par un impressionnant Olivier Gourmet. Un promoteur immobilier veut la racheter pour aménager un grand projet vert. Lui ne veut pas vendre, emprisonné dans ce lieu par le souvenir de sa femme qui s’est suicidée….
Le secret de la chambre noire est un film fragile, qui se tient toujours à la limite, justement car il cherche à percer tout le trouble lié à cet entre-deux, à cette frontière. Entre la vie et la mort et la fascination exercée entre ces deux mondes, aussi entre un cinéma très carré, un petit drame sans intérêt, et un autre sans horizon, flou, romantique, à la lisière entre le poétique et le ridicule. Mais également, de façon plus générale, entre la photographie et le cinéma.
Cette fascination pour la mort s’exprime principalement par le procédé utilisé par le photographe : un daguerréotype. Presque un appareil de sorcellerie, qui immobilise de façon mécanique le corps, tout en aspirant l’âme de celui-ci. Gourmet photographie de cette manière sa fille tous les jours, comme il le faisait avec sa femme. Pourquoi ? Peut-être pour rejouer ce qui ne peut plus se jouer, pour recréer une situation à l’identique afin de l’immortaliser à jamais, pour excaver le souvenir d’un être aimé et le capturer à nouveau, encore et encore, pour chercher à percer un mystère passé en capturant son image dans le présent,…On ne sait pas pourquoi le personnage de Gourmet fait ça, tout comme on ne sait pas si le personnage de Tahar Rahim, qui est embauché par Gourmet comme assistant, tombe amoureux de la fille du photographe ou bien de l’image de sa fille capturée par le daguerréotype.
On évolue dans cette zone trouble avec un romantisme envoutant, poétique et sombre. Une zone dans laquelle le vivant est mort, le mort est vivant, où les fantômes envahissent le plan et hantent chaque centimètre de celui-ci. Des fantômes de l’amour et de la mort, des fantômes de cinéma, ceux de Cocteau, de Franju, qui côtoient ceux de Vertigo ou de Laura. Ces fantômes on ne les voit pas immédiatement, ils ne se matérialisent pas aussi simplement, mais ils enveloppent le film en le rendant impalpable, étrange, trouvant là toute sa beauté spectrale.