« Life is for the living », dit la chanson du groupe Glass Ghost. Selon comment on traduit cela, on peut écrire la vie est pour les vivants ou bien pour le vivant. Les êtres et d'une façon plus large tout ce qui vit et croit sur Terre. C'est une chanson étrange, au rythme entraînant, à la mélodie lumineuse. Un hymne à la vie. Certes teinté de mélancolie, mais un hymne tout de même. La voix sensible d'Eliot Krimsky évoque pourtant un deuil dès le premier vers : « Another life was sketch to stone » (« Une autre vie gravée dans la pierre »).
Je crois pouvoir dire avoir ressenti ce même sentiment mêlé en voyant pour la première fois le film de Gabor Csupo (2007). Et je l'ai retrouvé plus tard en lisant le roman de Katherine Paterson dont il s'inspire, Bridge to Terabithia (1977). En dépit de l'affiche qui le présentait comme un cousin des Harry Potter et Narnia, Le Secret de Térabithia n'est pas un film d'aventures dans un univers magique. Ou s'il l'est, l'est-il de façon tout à fait plus subtile.
Il s'agit de l'histoire d'amitié, légèrement amoureuse entre Jess et Leslie. Lui aime dessiner et voudrait bien battre tous ses camarades à la course, pour montrer qu'il est un vrai mec. Quand Leslie aménage à côté de chez lui, elle va soudain chambouler toute son existence. Pour commencer, elle le bat à la course, remettant en question ses préjugés sur la virilité. Puis, alors que Jess se contentait d'user de son imagination, de la « magie », dans ses seuls dessins, Leslie, débordante de vie et d'énergie va lui apprendre à transposer cette magie dans leur réalité. Avec lui, dans un coin de forêt, ils font vivre le royaume magique de Térabithia. Doucement, rendez-vous après rendez-vous, ils rendent le lieu plus tangible à leurs yeux.
Jusqu'au jour où Leslie se rend seule dans la forêt.
Pour rejoindre Térabithia, il leur fallait, se balançant au bout d'une corde, passer au-dessus d'un cours d'eau. Ce jour-là, la corde, vieille, craque. Choc à la tête. Leslie meurt noyée. Pour Jess la nouvelle est encore plus brutale qu'il revient d'une « journée parfaite » avec sa professeure de français qui l'a emmené visiter un musée d'art.
Cet épisode est aussi violent pour le héros que pour le lecteur ou le spectateur qui s'est lui aussi laissé infuser par cette énergie de vie démente qui sortait du personnage de la jeune fille. Ce n'est pas présent dans le livre sous cette forme, mais il y a dans son adaptation cette scène très émouvante, dans laquelle le père de Jess, après avoir passé tout le film à être rigide, prend son fils en larmes dans les bras. « Elle t'a offert quelque chose de très spécial, n'est-ce pas ? lui dit-il. C'est à ça que tu dois t'accrocher. C'est comme ça que tu la garderas vivante. »
Qu'on le veuille ou non, il en va ainsi. Il y a des gens qui sont là. Puis qui ne le sont plus. Et ça n'arrive jamais au moment opportun, ces départs. On peut s'accrocher à la douleur de leur absence, on peut s'arrêter de vivre tout comme eux. Ou garder cette étincelle de vie qu'ils nous ont transmise et continuer d'avancer, porté par cette lumière. Et c'est précisément ce que dit sur son air enjoué la chanson des Glass Ghost : le vie, c'est pour les vivants. Aussi nombreux soient tes deuils, porte la lumière de ceux partis et non pas une ombre lourde. Si tu es ici, si tu es en vie, sois vivant.
Gemme : Temps / Lanterne : Vie