Le Seigneur des Anneaux
5.6
Le Seigneur des Anneaux

Long-métrage d'animation de Ralph Bakshi (1978)

Bakshi prend le Seigneur des Anneaux pour ce pour quoi il a bon instinct de prendre le Seigneur des Anneaux : une caissette à semis de fin de début de printemps, celle où à grands gestes de peintre impressionniste sous domination de la fée verte on jette nos fonds de sachets de graines, où on s'éclate, où on mélange. Si par loyauté religieuse il paie un tribut narratif à Tolkien, il s'octroie en parallèle le droit à toute liberté esthétique.

Alors faut pas pousser rotoscopie dans les orties, c'est vrai, mais si galvaudé que soit le pauvre terme « expérimental », l'emploi de ce dernier peut s'autoriser ici une certaine légitimité. Le film met au pied du mur tous les procédés d'animation qu'il déploie. Des techniques différentes se succèdent d'un mouvement à l'autre du film.

Un peu endormi que j'étais par une introduction longuette et blablanarrative, je me fais réveiller par la première apparition d'un Nazgûl, celle dans fourrées sur la route de Bree, tu sais. Je me redresse dans le canap'. Je retrouve dans l'animation du cavalier noir la gestuelle bestiale et saccadée que j'avais aimée dans Fire and Ice (1983). J'aime cette lecture par Bakshi des spectres de l'Anneau. Et c'est pas que le Nazgûl. Toute la scène me plaît. Les gros plans angoissants et d'une sublime laideur sur la face de Sam en train de faire dans son slip à petits pois de Hobbit. Frodo en train de résister au désir ardent de fourrer son gros doigt pottelé dans le maudit bijou. Bref, d'un coup le film fait parler la poudre, et à partir de là on saute d'idée en idée.

Juste après c'est l'auberge de Bree, son ambiance enfumée, son mélange de plans réels et de dessins dans une rotoscope taillée à la faucille, ses acteurs-modèles avec leurs gueules et leurs sourires en surjeu sans surjeu, son Aragorn en Pataugas et épilation intégrale. Ici comme ailleurs dans le film, Bakshi brise la distance habituelle que met l'animation entre la viande du réel et mes yeux, il me sert des tronches, des dents, de l'alcool, de l'organique.

On s'interdit pas non plus l'expressionnisme, tant qu'à s'amuser. Frodo blessé oscillant entre le monde des vivants et le monde des spectres, sa poursuite à cheval avec les spectres se fait signer une dispense de ciel bleu, c'est parti, flashs lumineux, arrière-plans déchirés, abstraits, c'est le festival des couleurs et du bordel-je-m'éclate. La bataille du Gouffre de Helm c'est des monochromes saturés juste comme j'aime, des verts, des bleus, des armées d'Orcs faits de chair et d'os qui nagent dans une sensation de trois-dimensions comme on en voit rarement en animation.

Je vais pas faire la liste exhaustive de tout ce qui mérite d'être relevé. Cette adaptation du Seigneur des Anneaux c'est un festival visuel, chaque image surprend.

Et tant qu'à y être, on ne fait pas que montrer les muscles à la technique, faudrait pas réduire le film à ça. Certains enjeux sont intelligemment gérés. La férocité pragmatique de Frodo envers Gollum, leur jeu brutal de domination, leur relation « j'ai-besoin-de-toi-fais-ce-que-je-te-dis-mais-me-tue-pas-please », c'est plutôt propre. La posture de Boromir vis-à-vis de Frodo c'est beaucoup d'équilibrisme et d'ambiguïté, sans en faire des caisses, sans méchant sans gentil. Frodo lui-même est un intéressant Percival, pur et courageux, assez lucide. Pour le peu de temps qu'on lui accorde, le développement des personnages ne manque pas d'élégance. Ça dégouline pas, ça donne une impression de juste ce qu'il faut et ce qu'on peut dans le temps imparti.

Ce que j'ai envie de reprocher à Bakshi, maintenant qu'on lui a bien sympathiquement grattouillé le cuir chevelu, c'est précisément cette religieuse loyauté envers Tolkien que j'évoquais en préambule. Ça le conduit à un récit parfois très elliptique, ça donne un sentiment de course folle. En fait c'est très similaire à ce que je reprochais à Excalibur (1981). À vouloir tout raconter, on fait rentrer trop de trucs dans un médium pas foutu pour une telle masse. Alors OK Bakshi fait des coupes par-ci par-là, comme Peter Jackson il nous aura dégagé Tom Bombadil par exemple, mais ça reste encore extrêmement dense. On a l'impression de sprinter d'un îlot esthétique à un autre. On a envie de se faire plaisir visuellement sur une séquence, on prend le temps, puis merde, vite, le scénario nous rattrape, courez, courez !

Amis réalisateurs d'adaptations : trahissez ces foutues œuvres ! Pillez, violez, massacrez ! Réécrivez l'histoire ! Tolkien tu le mets à genoux, tu lui attaches une laisse en cuir autour du cou, cuir pleine fleur parce que t'es un gentleman, puis tu le fais boire de l'eau sale dans une gamelle et il t'appelle Domina ! C'est lui ta bitch, pas l'inverse ! Arrêtez d'essayer de faire entrer des carrés dans des triangles !

Et on va dire que c'est mon principal souci avec le film. C'est secondaire, on s'en fout un peu, mais si je le relève pas je relève quoi ? Dans l'ensemble l'équipe que Bakshi a réunie m'a régalé. J'ai pas grand-chose à reprocher au film, ou plutôt j'ai pas envie d'avoir grand-chose à reprocher au film. Je suis un type frugal : une esthétique unique, ça me suffit.

Scolopendre
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le 29 juin 2023

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