"Lord of the Rings — that content has been underused."
Warner Bros. Discovery CEO David Zaslav
La Guerre des Rohirrim puait le cynisme à plein nez. Entre ça et l'incompréhensible annonce de "The Hunt for Gollum" - à qui je souhaite plus de succès que le jeu de 2023, mais qui part avec le même handicap - on sent que Warner Bros ne compte pas dormir sur le juteux potentiel de leur marque, et qu'ils vont donc nous décliner du contenu jusqu'à la nausée, comme le fait Disney avec Star Wars depuis une dizaine d'années.
Et pourtant, le fait qu'il s'agisse d'un anime réalisé par un vétéran japonais, et que l'histoire explore de nouveaux personnages à une époque très différente, plutôt que capitaliser sur la nostalgie en nous faisant une suite ou un spin off à la con... tout ça a eu raison de mes réserves, si bien que j'ai donné sa chance au "produit", avec des attentes très modérées.
Résultat : je ne suis pas déçu, mais le film n'est jamais allé au-delà de ce que j'avais osé en attendre et n'a vraiment pas beaucoup de raison d'exister.
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Visuellement, c'est honnête, mais ça ne casse pas trois pattes à un mûmak. L'animation est correcte, la plupart des arrières plans sont beaux, mais l'intégration entre les deux n'est pas très heureuse, et les ajouts de 3D sont presque toujours hideux. En termes de photo et de composition, c'est le minimum syndical, avec quelques scènes sympas, mais rien de spécialement enthousiasmant. Dans les pires moments, la réal fait n'importe quoi et on se retrouve à déambuler mollement sur des plans fixes en 2D comme si le cameraman avait perdu ses clés. On a aussi quelques plans de caméra complètement WTF qui m'ont immédiatement sorti du film, comme le tourbilol 360° quand l'héroïne souffle dans un cor.
Le design des personnages est moyen, mais leurs visages un peu figés me rappelaient souvent que le même projet en live aurait largement mieux fonctionné, surtout si c'est pour ne rien faire des possibilités de mise en scène de l'animation et nous livrer un truc aussi plat et lisse. Pourquoi en avoir fait un anime, quand vous avez déjà tous les costumes, accessoires, et les codes visuels pour faire un film live de Rohirrims avec de vrais acteurs ?
Les dialogues sont correctement doublés, et j'étais ravi de trouver Brian Cox dans l'un des rôles principaux. Le reste du casting est oubliable. La musique, en revanche, reprend le thème des Rohirrims par Howard Shore. Sans surprise, ça fonctionne à 200% et il m'a suffi de 3 notes pour avoir des frissons. Je suis vraiment un sale geek de base. La bande son est fantastique et élève le film bien au-delà de ce qu'il mérite. Sans ça, je lui aurais sûrement mis un ou deux points de moins, ce qui n'est... pas très rassurant.
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Le plus gros défaut du film, à mon sens, est qu'il n'a rien d'intéressant à raconter. C'est une histoire basique à souhait, qui ne va jamais au-delà de ce qu'elle annonçait dans son premier quart d'heure, et qui semble parfois lancer des pistes qu'elle oublie complètement d'exploiter par la suite, comme les animaux malades ou les cadavres de chevaux. Vers la moitié, j'ai commencé à espérer qu'un nouvel enjeu viendrait rebattre les cartes. Au lieu de ça, le rythme s'est effondré comme un vieux soufflé et le script a continué à tituber vers un dénouement tristement prévisible.
Je viens d'allumer le film à balles réelles pendant 3 paragraphes, alors que je lui mets 6, car malgré toutes ces casseroles, il s'en tire quand même honorablement par certains aspects :
- Avec son héroïne rouquine, belle et rebelle (mais pas sexualisée, puisqu'on l'habille avec classe sans la dévêtir) le film présente l'univers de Tolkien par un prisme féminin qui ne m'a jamais paru forcé. Hera est vaillante, noble de coeur, et n'a pas froid aux yeux, mais elle n'est pas pour autant surhumaine (alors que son père est un mélange entre Kratos et One Punch Man). Elle évolue avec grâce dans un monde masculin où on lui rappelle régulièrement sa place, mais il en faudrait plus pour la décourager.
- Hormis la musique, le film fait remarquablement peu de fan-service. Il y a quelques références lourdingues à la fin, un caméo de Saruman totalement inutile (pour lequel on a exhumé Christopher Lee alors qu'il n'a qu'une phrase à doubler) et... c'est à peu près tout. Aucun personnage de la trilogie, peu d'appel de pied, c'est un miracle.
- C'est un film sérieux et sincère, 100% premier degré, qui assure sa nature dramatique plutôt que la désamorcer avec des petites blagues Marvel. Je sais bien que je ne mets pas la barre très haut, mais en 2024, c'est suffisamment rare dans un produit grand public pour être signalé, et jusqu'à ce que ça redevienne la norme, je continuerai de m'en réjouir.
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La Guerre des Rohirrim est un film à petit budget bricolé à l'arrache pour des questions de droits d'exploitation, et auquel WB croyait si peu qu'ils ont oublié d'en faire la promotion. Sorti au milieu de l'habituel carambolage de fin d'année, il s'est vautré au box office, dans l'indifférence générale.
Outre un mauvais bouche-à-oreille, le film s'est aussi royalement planté de cible. Dès les premières secondes, le logo "Warner Bros Family" m'a fait hausser un sourcil. J'ai accepté de bonne grâce qu'il n'y aurait pas de gore et de nichons, mais ce n'est pas la seule conséquence du label. C'est un film très simple et très lisse, facile à avaler dès n'importe quel âge, avec des gentils très gentils, des méchants très méchants, et bien peu de grisaille au milieu. C'est un film sans surprise, facile à digérer, qui plaira à vos enfants, mais pas aux fans du Seigneur des Anneaux qui auraient dû en être la cible principale.