Bavards du crépuscule
Alors que Les Deux Tours proposait de réels changements de directions avec la dynamique de La Communauté de l’anneau, le Retour du roi souffre a priori d’une certaine redondance avec le chapitre...
le 28 nov. 2015
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L’expérience de cinéma que propose Peter Jackson avec « The Lord of the Rings » représente une démarche inédite, dans le sens où la trilogie, dont les sorties sont espacées sur trois ans, ne forme en réalité qu’un seul et même film. Il devient dès lors compliqué de s’attarder sur chaque volet comme une individualité. Cela reviendrait à décomposer n’importe quelle production, même d’1h30, et d’isoler son début, son milieu et sa fin. La trilogie fonctionne ainsi en un tout cohérent et complémentaire, bien que le cinéaste néo-zélandais soit parvenu à donner à chacun de ses trois films une identité bien à part.
« The Return of the King » n’échappe donc pas à la règle, et c’est presque une nouvelle aventure qui est proposée à l’audience. Après la présentation des Hobbit, puis des Rohirrim, vient le moment où le méga-métrage s’attarde sur le Gondor. Ce royaume brisé, dans l’attente quotidienne d’une invasion du Mordor, répond à une culture tragique et obscure, bien que teintée d’un espoir un peu vain. Son intendant, Denethor est un personnage sombre, dénué de tout optimisme, qui ne vit que dans la crainte de voir sa lignée, non légitime sur le trône, s’éteindre. Cette peur lui voile totalement la réalité de la situation. D’ailleurs, Denethor est l’un des échecs de ce troisième volet, qui en comporte malheureusement un petit peu trop, surtout par rapport à la maestria déclinée dans les précédents films. Nous y reviendrons.
Sur un petit peu plus de 4 h, le métrage vient donc conclure un voyage, à la fois celle des protagonistes lâchés en Terre du Milieu, mais aussi celle humaine des équipes de tournage. Débuté en 1997, le projet trouve une conclusion six ans après, et met un terme à une aventure de près de dix ans pour Peter Jackson et ceux avec qui il a développé cette aventure folle, et qui l’accompagnent depuis « Meet the Feebles », voir « Bad Taste ». Convaincus ou détracteurs, cette expérience ne peut que laisser admirative, et n’a jamais été répétée depuis, avec cette envergure et ce succès à la fois critique et public. Cette trilogie provoque tout de même plus l’unanimité que le désaccord.
Poursuivant sur le mode de « The Two Tours », le scénario réinvente un peu cette troisième adaptation en prenant des libertés, pour le meilleur, comme pour le pire, malheureusement. Si pour ce qui est de la trame principale, ça reste inchangé (Sauron attaque le Gondor et Frodon va jeter l’anneau), la structure narrative maintient les changements entrepris dans le précédent volet. Les thématiques et les différents messages présents depuis le premier film demeurent inaltérables, et en ce sens cette conclusion n’apporte pas beaucoup plus sur la réflexion globale de l’œuvre. Si ce n’est une certaine contradiction à la fin, avec le sacre d’Aragorn, qui tout sympathique qu’il soit, joue le jeu de monarque, donc de l’autocrate. Cela entre en rupture avec la nature anar’ de « The Two Towers », comme si le récit devait rentrer dans les clous avant le bouquet final. Cela est tout de même nuancé par le fait que le roi s’agenouille, avec sa cours, devant les Hobbit, prolos’ du jour, mais ça paraît un peu forcé.
Si le film ne déçoit pas, il se présente plus faible que ses deux prédécesseurs, mais réserve cependant son lot d’épique. L’arc narratif du Rohan se révèle en cela admirable, et Theoden prouve à quel point il n’est pas fait pour être roi, mais comment il s’accommode de la tâche avec admiration. Il exprime une abnégation avec laquelle peu de protagonistes peuvent rivaliser, à l’exception des Hobbit et de Faramir. Mais, à force de jouer dangereusement avec la frontière du grotesque, Peter Jackson finit par la franchir à plusieurs reprises. Plusieurs séquences laissent en ce sens un peu pantois, même si sur une œuvre de plus 4 h cela représente une infime part, leurs présences gênent une immersion aussi totale que les deux premiers films.
Il demeure toutefois d’importance de contrebalancer ces petites erreurs par la réussite générale. Ainsi, la séquence de l’araignée Arachne impressionne. Présente dans le livre « The Two Tours », elle fait partie de ces scènes réarrangées par les scénaristes, pour une meilleure fluidité du récit. Tout l’héritage horrifique de Peter Jackson ressort de ce passage absolument terrifiant, surtout que représenter cette araignée géante n’était pas gagné. C’est également un prétexte pour montre toute l’importance et la bravoure de Sam Gamegie, qui jusque-là faisait plutôt office de sidekick, traité en ingrat lorsque Frodon se trouve un nouveau copain en la personne de Gollum. La vaillance et le courage de Sam se révèlent ici et c’est toute la dimension bilatérale de l’amitié qu’explore le récit. Cela vient également interroger sur la nature du héros qui, sans son fidèle compagnon, serait mort lamentablement et aurait permis aux forces du mal de triompher.
Toutefois, pour une séquence aussi admirable, il y a en outre tous les passages avec Denethor, qui, il faut le dire, sont foirés. Le personnage n’est jamais cerné convenablement, au point de se demander ce que Peter Jackson, Fran Walsh et Philippa Boyens ont voulu exprimer à travers lui. Cruel, froid, ingrat, fou, moche, méchant, idiot et grotesque, il est impossible de créer un quelconque affect pour lui. Cela dénature toutes ses apparitions et les enjeux de son rôle, notamment dans son attitude envers Faramir, mais aussi son incompétence face à l’invasion du Mordor. C’est dommage, car dans le livre, Denethor est certes un personnage très froid, mais il reste humain et digne, malgré la folie qui s’empare de lui. Le Denethor de papier connaît même une forme de rédemption, juste avant de mourir, par un choix qu’il accepte en conscience.
Voici donc le temps d’aborder le mort de Denethor. Mais, pourquoi ? Deux décennies après, la représentation de la mort de l’intendant du Gondor reste un mystère. Si l’on peut s’appuyer sur l’héritage potache et burlesque du Peter Jackson des débuts, il est clair que cela gêne avec cette séquence tragique, censée prendre aux tripes et non provoquer le rire. Ce n’est pas tant cet héritage qui est mis en cause, puisque distillé par petite touche depuis le premier film, il fait mouche. Mais ici, que nenni, c’est totalement déplacé. Sans reprendre en détail la séquence ni même chercher une logique terre à terre (n’oublions pas qu’un esprit du mal, qui survit sous la forme d’un œil enflammé, envoie des Orcs affronter un magicien), comment le type parcourt-il entre un et deux kilomètres, en flamme, pour se jeter (donc conscient) du haut de sa tour ?
D’un point de vue de mise en scène, cette mort permet de s’intégrer dans la bataille, alors que le corps en flamme de Denethor tombe, un traveling aérien présente un plan d’ensemble, épique et magnifique, sur le siège en cours. Mais juste pour proposer un beau plan, cela ne justifie pas cette absurdité. À chaque visionnage, c’est la même chose, et cette question qui se répète inlassablement : mais pourquoi ?
De plus, ce passage conclut un arc peu convaincant, centré sur une représentation très pauvre d’un Denethor sans dimension, qui ne rend absolument pas hommage à John Noble, qui possède pourtant la gueule de l’emploi. Cela empêche également de créer la relation amusante qu’il noue avec Pippin, et rend les scènes avec Faramir un peu fades.
Cependant, il est vrai que ces scènes représentent un temps limité sur les 4h, mais suffisent à provoquer un remous dans le visionnage. Voilà qui renvoie à une autre séquence, où le grotesque gagne également la bataille, avec la mort en début de film de Saroumane. Si l’idée, de le faire mourir là pour conclure son arc et se concentrer sur les évènements à venir, s’avère bonne (et brise directement toute attente de voir le Comté à feu et à sang), c’est la manière qui pose problème. Cette chute (encore), qui se clôt par un empalement sur une roue, interroge. Au-delà du fait que l’antagoniste principal du précédent film meurt aussi facilement, et de manière si brutale, laisse entendre qu’il faut faire vite pour terminer. Ce rush demeure dommageable, car il vide Saroumane de toute sa puissance, même si sa mort permet la rédemption de Grima, et offre une ultime apparition admirable pour l’excellent Brad Dourif.
En face de ces anomalies cinématographiques, figurent toutefois d’autres séquences d’anthologies, dont une qui met tout particulièrement en relation les précédents films de Peter Jackson et cette trilogie de la maturité. Le passage où Aragorn, Gimli et Legolas se rendent dans les montagnes pour aller recruter une armée de fantôme se montre absolument superbe. Une ambiance qui mélange épouvante et psychédélisme, qui n’est pas sans rappeler certains effets de caméra de « Braindead », rappelle à quel point Peter Jackson maîtrise son art. Il concilie lors de ce moment tout un imaginaire de cinéma, qui fait d’une scène peu évidente, l’une des plus réussies de ce troisième film. Bien qu’elle aboutisse à l’un de ses autres gros problèmes : l’armée de fantômes.
Jouant beaucoup plus sur le tout numérique que ses prédécesseurs, qui possédaient une texture bien plus organique, et des effets spéciaux au service de l’histoire, et non l’inverse, le film atteint des limites visuelles. Elles peuvent bien entendu s’expliquer par le fait que les effets spéciaux de 2003 ne sont pas encore optimaux, mais c’est là une faible excuse. Sorte de bouillie numérique verte indigeste, l’armée fantôme inonde le champ de bataille en mode ultrarapide, rendant le sacrifice du Rohan totalement inutile, et révèle la sensation de précipitation du métrage, puisqu’il ne reste plus qu’une heure et que l’anneau se trouve toujours autour du cou de Frodon. Comme pour la mort de Saroumane et celle de Denethor, il y a dans l’arrivée de l’armée fantôme une expression de grotesque. Ce passage fait plus que flirter avec de la série B cheapos, qui est certes là d’où vient Peter Jackson, mais qui dans la conclusion de ces trois films d’envergures, fait un peu tâche.
Toujours est-il que, excepté ces trois lacunes majeures, « The Return of the King » demeure une œuvre de Fantasy bien supérieure à ce que le genre peut proposer. Il offre une conclusion digne de ce nom à une trilogie fascinante, par le biais d’un final émouvant, sans larmoyant. Excepté le sacre d’Aragorn (une autre séquence ratée sur plusieurs points…), elle permet un bel épilogue, qui rend au passage à Sam la place de héros qui lui revient de droit. De plus, ce final reflète à la perfection l’une des thématiques centrales de l’œuvre de Tolkien, qui présente un changement des temps, la fin d’une civilisation et d’un mode de vie, vers un autre. Cette évolution naturelle voit les Hommes prendre leur destinée en main en devenant le peuple appelé à régner sur la Terre du Milieu. Quand de leur côté, les Hobbit continuent leur petite vie tranquille, non concernés par tout ce qui se passe ailleurs, et qui reflète là l’un des changements drastiques entre l’œuvre de Jackson et celle de Tolkien.
Avec son traitement réaliste, aux airs de saga médiévale à l’imaginaire ancrée dans notre passé, cette guerre pour la Terre du Milieu, qui débute l’âge des Hommes, laisse penser qu’il s’agit de notre histoire. Celle d’un temps, conté par nos mythes et nos légendes, fait d’épopées héroïques, de magies et de dragons, dans une ère occidentale fantasmée, de laquelle nous pouvons nous sentir les héritiers. C’est ainsi que le livre de Tolkien dans les 50’s et le film de Jackson en ce début de XXIe siècle, par leurs portées universelles, permettent de remettre au goût du jour une mythologie. Depuis les poèmes épiques d’Homer aux comics contemporains (et dans une moindre mesure leurs adaptations cinématographiques), les mythes ont toujours parcouru l’imaginaire de l’espèce humaine. Notre histoire d’aujourd’hui alimentera elle-même les mythes de demain, ce qui nous rend acteurices du grand récit de l’Humanité.
De la transmission orale à la transmission écrite, « The Lord of the Rings » s’intègre dans un nouveau type de diffusion, qui entre 2001 et 2003 n’avait pas cent ans : l’audiovisuel. Cette trilogie prend place dans la grande, mais encore jeune, histoire du Cinéma, comme la conclusion moderne d’un héritage ancestral. Ce dernier débute pour notre âge avec l’épopée sumérienne de Gilgamesh, dont les péripéties porteuses de valeurs universelles se révèlent très proches de ce que propose à son tour Peter Jackson.
J.R.R Tolkien nous transmettait avec ses ouvrages l’accès à une mythologie du Nord de l’Europe, teintée par les mythes et légendes parcourant le monde depuis la Grèce antique. Il répondait à un héritage dont la tradition soumettait à la transmission. Les livres qui garnissent « The Lord of the Rings » ne sont pas issues d’un imaginaire crée de rien, il n’y a pas un point zéro et paf, Tolkien. Son histoire compose la somme de ses connaissances, de ses apprentissages et de ses expériences. Celle d’un universitaire britannique, ayant vécu à un autre siècle, combattant de la Première Guerre mondiale et témoin de la Seconde. La somme de son existence et de ses études des textes anciens engendre tout son univers de la Terre du Milieu, avec ce qu’il comporte de lien avec le monde dans lequel vécut cet homme.
Peter Jackson est un Néo-zélandais né dans les années 1960, nourries de pop culture depuis sa plus tendre enfance. Le film qui lui a donné l’envie de faire du cinéma, c’est le « King Kong » de 1933, là aussi une œuvre à l’imaginaire débordant, s’inscrivant dans une logique de mythe. La passion de Jackson pour le livre de Tolkien n’est pas issue d’une nature universitaire, mais d’un loisir de lecteur. Celle d’un jeune homme à l’imagination riche, qui toute sa vie durant essayera (avec succès du coup) de devenir le cinéaste qu’il est aujourd’hui. C’est à la fois l’héritage de Tolkien qu’il transmet avec sa trilogie, et la somme de ses expériences, celles d’un admirateur, avec tout ce que son apprentissage de l’existence lui apporte.
En ce sens, « The Lord of the Rings » version cinéma, peut être perçu comme une étape de la transmission de nos vieux mythes. Il s’inscrit dans le vaste patrimoine de l’humanité, telle une petite fenêtre ouverte sur ce à quoi pouvait ressembler l’occident des légendes, avant la mémoire humaine. Cela fait de cette trilogie une œuvre majeure, avec laquelle le temps devrait se montrer clément, et faire oublier les maigres accrocs présents dans les films. Pour cela il suffit de regarder la renommé de « The Lord of the Rings » version roman, qui n’est pas non plus exempt de défauts, mais ce qu’il transmet dépasse l’entendement. Si bien que les méthodes aujourd’hui à notre disposition, pour la transmission de notre mémoire, se révèlent encore archaïques. Néanmoins, ces progrès comme ces défauts sont aussi ce qui rend ces œuvres terriblement humaines.
-Stork_
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Créée
le 15 janv. 2022
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