Le Sel de la terre est un film important dans son propos, mais relativement mineur dans sa forme.
On peut attribuer de nombreux mérites à ce film, qui fait figure d'opposant indépendant à la grande machine capitaliste. À l'image des mineurs et de leurs femmes qui luttent contre les patrons qui détiennent les capitaux, le film lui lutte contre le système hollywoodien.
Le métrage a une approche très documentaire, il y a des acteurs professionnels mais surtout amateurs. D'ailleurs, ça nous rappelle le cinéma néoréaliste italien dans une certaine mesure : l'individuel qui se fond dans le collectif pour rééquilibrer les rapports de pouvoir.
Il y a tout de même quelque chose de particulièrement intéressant dans ce film, c'est le rôle attribué aux Femmes. Si la lutte du départ concerne les mineurs (face aux patrons), la lutte finale concerne tout le monde, le mouvement ouvrier s'élargit en intégrant les femmes et les enfants. Les hommes ne réalisent qu'à un certain moment la légitimité de la contestation des femmes. Au départ, ils pensent sincèrement que le rôle des femmes est à la maison, à s'occuper des enfants et de la cuisine. Au fond, c'est comme si chaque minorité avait sa minorité : les mineurs subissent les injustices du patronat, les femmes subissent les injustices liées au sexe. Le point commun, c’est qu’ils contestent contre les discriminations. Les mexicains désirent être jugés à la même enseigne que les blancs, les femmes désirent être jugées à la même enseigne que les hommes.
Finalement, c'est dans l'unité qu'ils finissent par vaincre les patrons et par extension le capitalisme. Si toutes les voix s'unissent en une seule même voix, l’espoir se dessine. Le film montre la puissance de l'unité. Personne n’a le monopole de la grève.
Dans Le Sel de la terre, il y a une scène particulièrement réussie. Il est question du montage parallèle où d’un côté la femme accouche en souffrant, et de l’autre son mari qui souffre des coups que lui inflige la police. Quelque part, c’est une image des souffrances qu’ils subissent au quotidien et contre lesquelles ils luttent. La femme souffre d’un accouchement, ce qui la ramène à son statut de femme, l’homme lui souffre parce qu’il vient d’être arrêté pour avoir manifesté. Personne n’a le monopole de la souffrance.
Cependant, Le Sel de la terre reste un film extrêmement manichéen, et c'est souvent le cas des films politiques. Clairement, ce sont les gentils ouvriers exploités (ce qui était le cas, et l'est toujours d'ailleurs) contre les méchants patrons capitalistes. Il n'y a aucune mesure, les patrons étant juste cruels et dépourvus de toute humanité. Ce message anticapitaliste est intensifié par le clin d'œil fait à l'Internationale qui vient aider les mineurs alors qu'ils sont en grève et qu'ils commencent à ne plus avoir de quoi manger. Il faut d’ailleurs insérer le film dans son contexte historique : la Guerre Froide qui divise le monde en deux blocs aux idéologies antagonistes (le communisme et le capitalisme). Le film, bien qu’états-unien défend corps et âmes l’idéologie communiste et critique vivement le capitalisme. D’ailleurs à l'époque, tous les membres de l’équipe du film ont été blacklistés (ah le Maccarthysme et la Chasse aux Sorcières!).
C’est le principal problème avec ce film, et plus largement avec le cinéma politique. Le manque de subtilité est pour moi un péché, au cinéma (et même dans la vie quotidienne finalement). Typiquement, je n’apprécie guère le cinéma social et politique des frères Dardenne. Mais pourtant, j’apprécie les œuvres néoréalistes qui sont des films politiques. Mais la différence, c’est que pour le néoréalisme italien, il y a de la poésie qui naît de la réalité. Cette poésie vient embellir le film tout en intensifiant son propos. La subtilité est alors de mise. Ici, et chez les frères Dardenne, ce n'est pas le cas.
Je reproche le manichéisme du cinéma politique. Mais le monde n’est-il pas quelque part manichéen ? Dans un système comme le nôtre, n’y-a-t-il pas irrémédiablement des dominants et des dominés ?
À partir du moment où tu es un homme de pouvoir, tu entres dans une case. Ici, les capitalistes sont aveuglés par les rétributions du capitalisme. Ils s'en foutent des injustices causées par ce même capitalisme. Donc, dans le fond, le propos du long-métrage est pertinent.
Le Sel de la terre est un film qui a le mérite d’exister, surtout quand on pense à son contexte de production, mais il n’est pas pour autant un chef-d’œuvre à la hauteur du Voleur de Bicyclette par exemple. Mais bon, si on reste dans la lignée du film, on se demande à quoi ça sert de toujours comparer, d’être constamment dans cet esprit de compétition ? Est-ce le système capitaliste qui m’a formaté à être sans cesse dans une logique de compétition ? Est-ce humain ?