Le Septième Sceau par abarguillet
Ingmar Bergman, fils d'un pasteur luthérien, naquit à Uppsala en 1918 et fut, dès son enfance, en proie à des doutes et des préoccupations métaphysiques. La vie austère qu'il menait dans sa famille, l'éducation stricte qu'il reçut, en firent un enfant inventif et rêveur. Il éprouva très tôt une véritable fascination pour le monde du spectacle, monde qui figurait pour lui le fantastique, le mythique, l'imaginaire, en contradiction avec la vie ordinaire, et lui permettait d'outrepasser les interdits. En compagnie de sa soeur, il montait des spectacles et prêtait aux marionnettes qu'il animait ses audaces et ses fureurs, ses désirs et ses révoltes. Ainsi envisagea-t-il l'art comme le lieu idéal de la transgression, celui où l'homme s'autorise à vivre une vraie vie, celui où l'on franchit le seuil des tabous et des peurs. Il est vrai qu'il fût toujours en quête de l'effrayante vérité, celle qui, ne cessant de se réfugier dans les replis ultimes de notre inconscient, inspirera son oeuvre et l'incitera à exiger de ses acteurs et de ses actrices le paroxysme. Metteur en scène au regard implacable, il fut pour lui-même et les autres d'une exigence parfois impossible à satisfaire. Tourner sous sa direction était un honneur autant qu'une épreuve. Eric Rohmer - qui l'admirait - écrivit à son propos : L'art de Bergman est si franc, si neuf, que nous oublions l'art pour le problème des problèmes et son cortège infini de corollaires. Rarement le cinéma a su porter si haut et réaliser si pleinement nos ambitions.
Le Septième Sceau fut tourné en 1956 et se vit attribuer en 1957 le Grand Prix Special du Festival de Cannes, alors que le cinéaste suédois avec déjà produit quelques-uns de ses chefs- d'oeuvre : Jeux d'été ( 1950 ), Monika ( 1953 ), La nuit des forains ( 1953 ), Sourires d'une nuit d'été ( 1955 ).
"Et lorsque l'Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit dans le ciel un silence d'environ une demi-heure".
"C'est l'ombre de la mort qui donne relief à l'existence ", disait-il et ce film, qu'est-il d'autre, sinon une longue méditation sur le sens de la vie, que la mort vient implacablement interrompre, dans sa trajectoire terrestre et humaine ? Un pessimisme fondamental, dont Kierkegaard est peut-être l'un des inspirateurs et père spirituel, mêle les thèmes du désespoir, de la révolte, de la misère d'une humanité sans amour, mais non sans Dieu, dont la présence sera ré-affirmée dans son film La Source ( 1959 ), comme l'unique moyen de réconciliation entre les vivants.
L'histoire est la suivante : un Chevalier interprété par Max von Sydow - avec lequel Bergman tournera plusieurs longs métrages - revient des Croisades, lorsque lui apparaît -au bord de la mer - sur une grève sauvage et solitaire, la mort. Pour gagner du temps et peut-être découvrir l'ultime vérité, le Chevalier lui propose une partie d'échecs. Autour d'eux, dans la Suède du XVIe siècle, que l'usage du noir et blanc restitue dans une sorte de dépouillement minéral, la peste sévit, fauchant les vies avec une sombre indifférence.
- Je veux utiliser ce délai ( celui que lui accorde la partie d'échecs ) a quelque chose qui ait un sens.
- C'est pourquoi tu joues avec la mort ?
- C'est une habile tacticienne mais je n'ai encore perdu aucune pièce.
- Comment espères-tu la déjouer ?
- Je jouerai avec mon cheval et mon fou.
- Je veux savoir, pas croire, dit encore le Chevalier à son partenaire, la mort. Je veux que Dieu me tende la main, qu'Il me dévoile son visage et qu'Il me parle.
Mais le silence de Dieu parait être la seule réponse que reçoive l'ancien Croisé. Et ce silence est intolérable. L'obsession de Bergman se dévoile dans ce film avec une troublante intensité. Même si aucune figure visible de Dieu n'existe, il ne peut pas ne pas y avoir une vérité à découvrir et à comprendre. Une vérité qui se livre et ne nous condamne plus à la vision improbable de son reflet. Chacun des protagonistes du film cherche quelque chose, parfois sans le savoir, ou possède quelque chose, parfois en l'ignorant. Ainsi le jongleur, simple en esprit, sorte d'Adam avant la chute, nimbé de la grâce de l'innocence. Ou bien le jeune couple de la troupe de comédiens ambulants qui consacre le plus clair de son temps à chanter et à s'aimer.Ceux-là ne seront pas emportés dans la sinistre farandole de la mort. Ceux-là représentent une humanité, encore dans sa pureté originelle, qui n'apostrophe ni Dieu, ni Diable, et se contente de vivre, malgré la peste noire et les épreuves innombrables, avec une naïve simplicité.
Le grand mérite de ce film est d'abord d'être simplement un film et l'un des plus beaux que l'on puisse voir, bien qu'il comporte une part importante d'abstrait et de théorie. Son point de départ n'est pas - ainsi que nous le confie l'auteur - une idée mais une image. Et nous n'avons pas de peine à le croire, tant il y fait référence aux thèmes chers aux peintres et sculpteurs du Moyen-Age. S'il y a naïveté dans ces diverses allégories, c'est parce que Bergman a su retrouver la candeur et la saveur de cet art incomparable et qu'avec sa pellicule il en a restitué l'iconographie, sans céder au décalque, et en y ajoutant, pour notre plus grand bonheur, le fruit d'une création constamment originale.
Le Septième Sceau se déroule comme une longue fresque médiévale qui n'est pas sans évoquer les peintures du Hollandais Jérôme Bosch aux composantes mystiques et symboliques et les danses macabres, fréquentes alors, sur les murs des cathédrales. L'époque est évoquée avec un réalisme sans outrance, mais volontairement détaché, qui ajoute à l'esthétisme de ce film bien séquencé. C'est, à mon avis, l'un des plus aboutis de Bergman. Grâce à lui, il connut d'ailleurs une renommée mondiale et se révéla comme l'un des maîtres incontesté de l'art cinématographique. D'autant qu'il replace l'humain et le questionnement métaphysique au centre de nos préoccupations ; ce, avec une écriture sobre et des images qui cernent l'essentiel au plus près. Les acteurs, conduits de main de maître, sont tous excellents. Leurs visages, saisis avec précision dans leur nudité la plus émouvante, nous rendent étonnamment sensible le drame dans lequel le metteur en scène les immerge. Un film qui fait date et a le mérite de nous remettre en phase avec les problèmes fondamentaux de notre destinée.
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