Dans le cadre assez exigu (et pas franchement pourvu d'un intérêt suprême en ce qui me concerne) du polar à la française, "Le Silencieux" parvient à tisser sa toile paranoïaque avec un certain brio, force est de le reconnaître. Le film repose en grande partie sur les épaules de Lino Ventura, qu'on sait bien solides, et c'est grâce à lui, en grande partie aussi, que le film ne tombe pas dans l'anecdotique.
C'est un écheveau de réseaux de services secrets, entre les Français, les Russes et les Anglais, duquel Ventura tente de s'extraire avec toutes les peines du monde. il flotte sur le film une ambiance grave, presque inexorable, de l'ordre de celle dans "L’armée des ombres" : implacabilité des péripéties, fuite en avant dans la peur d'être retrouvé, etc. Si l'on ne retrouve ni le talent de Melville ni l'intérêt d'une thématique comme celle de la résistance, on garde ce côté inéluctable de la narration qui file tout droit vers une fin qu'on n'imagine à aucun moment heureuse.
L'écriture est froide et sèche, il y a très peu de surenchère ou d'éléments superflus : c'est presque du minimalisme, dans la lignée de ce qu'annonce le titre et dans la continuité d'un autre film de Melville, "Le Deuxième Souffle", partageant ce côté froid et sec d'une ambiance pesante. Le film manque sans doute de souffle (le premier, sans doute), on n'est vraiment pas dans le lyrisme fou (hormis peut-être dans les dernières séquences dans les montagnes suisses) mais il parvient à tirer son épingle du jeu. La référence à Hitchcock est évidente lors de la séquence-hommage à "L'Homme qui en savait trop", dans laquelle un chef d'orchestre dirige sa troupe dans un sentiment d'angoisse et de tension allant crescendo, alors qu'un montage parallèle dévoile un secret enfoui dans une partition. C'est dans la gestion de cette menace qui s'illustre de manière extrêmement diversifiée, dans l'illustration de la solitude absolue de son protagoniste manipulé par tous les bords, que "Le Silencieux" vaut vraiment le détour.