Manhunter, intitulé Le Sixième Sens en VF (aucun lien avec le film de M.Night Shyamalan) est la première adaptation cinématographique du roman de Thomas Harris, Dragon Rouge. Le producteur, Dino de Laurentiis, ne jugea pas opportun de lui donner le même titre, suite à l'échec de l'Année du Dragon en 1985. Plus ou moins étouffée par la suite par l'excellent Silence des Agneaux, cette œuvre mérite un second regard aujourd'hui, depuis sa sortie tardive en Bluray, surtout pour ses qualités photographiques et son ambiance vintage 80's.
Le film est étrange, il met en valeur le sens esthétique de Mann pour la lumière, l'architecture et les cadrages inventifs. Il a un penchant pour mettre en scène des villas modernes et immaculées en bord de mer comme toile de fond de meurtres sanguinaires. Le jour, les blancs résonnent avec la clarté du sable, puis se drappent la nuit d'un velour bleuté. C'est la signature de Mann, un perfectionniste dont on retrouvera la patte dans Heat ou encore Miami Vice. Si la forme est soignée, on se sent malgré tout un peu distant de l'intrigue, comme porté par une camera rêveuse. Il y a un côté David Lynch (également pressenti à la réalisation) à la fois dans le traitement et l'environnement sonore électronique, façon Twin Peaks ou Lost Highway. Mann est plus dans la suggestion que la démonstration, il agence ses plans comme les tableaux d'un musée d'art contemporain, si bien qu'une scène filmée dans un supermarché pourrait passer pour du Andy Warhol. Une belle expérience cinématographique, parsemée d'indices et de surprises, à voir comme un film expérimental se terminant en apothéose sur In-A-Gadda-Da-Vida d'Iron Butterfly. La scène où un homme en flamme dévale une rampe en chaise roulante est glaçante, ou encore, la scène d'investigation dans le laboratoire avec un laser high-tech. De nombreux passages sont marquants mais l'étrangeté ressentie pourra dérouter ceux qui, comme moi, se souviennent davantage de la deuxième version avec Edward Norton, Anthony Hopkins et Ralph Fiennes. Brian Cox, déjà spécialisé dans les rôles de bad guy ambigu, campe un Hannibal Lecter rebaptisé Lecktor à l'epoque, assez juste, mais auquel manque l'appétit et le raffinement de Hopkins. Tandis que Tom Noonan, dont on se remémore l'operation crânienne dans Robocop 2, est un Dolarhyde sculptural et inquiétant, mais sans la palette du jeu de Fiennes.
Manhunter est un film bien plus personnel que Dragon rouge de Brett Rattner, avec une atmosphère très stylisée. Le traitement de l'histoire est plus cérébral chez Mann, davantage axé sur les détails de l'enquête, alors que Ratner la simplifie et donne un rythme plus en accord avec des standards hollywoodiens. Principalement centré autour de Will Graham, Manhunter esquisse seulement la relation Dolarhyde/Reba McClane, axe majeur de Dragon Rouge, à l'instar du personnage d'Hannibal, plus discret. Alors bien sûr, si l'on est fin connaisseur ou cinéphile émérite, il faut prendre le temps d'apprécier ce Manhunter qui se bonifie avec l'âge et se révèle beaucoup plus subtil que le second, une sorte de proto-film préparant le terrain pour le Silence des Agneaux. L'idéal serait de fusionner les deux, le dernier pour sa qualité dramatique, et celui-ci pour sa sensibilité plastique.