Avec Le Solitaire se referme la page Bebel dans la carrière de Jean-Paul Belmondo. Lancée onze ans auparavant, elle aura fait de l’acteur le roi du box-office. Au menu, une marque de fabrique estampillée « Belmondo » tout en haut de l’affiche avec intrigue policière, castagne, cascades et bons mots. Flic ou voyou, selon les titres, Bebel a incarné pendant une petite dizaine d’années, principalement sous la direction de Georges Lautner, Jacques Deray ou Henri Verneuil, des personnages généreux, gouailleurs mais impitoyables si nécessaire. C’est avec Jacques Deray et ce Solitaire que cette période se referme. Alors que leur dernière collaboration avait été un immense succès en 1983, celle-ci sera un terrible four. En quatre ans, le marginal est devenu solitaire, un flic animé par la même vengeance, celle de la mort d’un ami. Mais, en dépit des apparences, Belmondo est ici moins bronsonien. Il flirte avec la ligne blanche mais ne devient pas le sombre justicier qu’il était dans le film précédent.
Voilà qui n’explique en rien la nette baisse de qualité entre les deux films. J’ai toujours eu un faible pour Le Marginal, ce polar très américain des années 80 avec ses scènes nocturnes, ses bastons, son humour et ses courses-poursuites. Avec Le Solitaire, c’est un peu la fin de la surenchère. Le ton est plus réaliste et l’ambiance plus posée. L’humour est moins présent. Et les scènes d’action quasi au rencart. Et c’est bien, à mon sens, tout le souci du film. Un Bebel sans action (ou presque), il y a comme une erreur dans le script. Privé de cascades depuis ses deux gadins dans Hold up et lors d’une émission télé, l’acteur a moins à offrir ici et le spectacle s’en ressent fortement. Dans le fond, cela ne devrait pas être un souci mais l’intrigue est tellement fade que le film ne parvient pas à passionner. Il se contente de confronter notre Bebel à une ribambelle de seconds rôles (le plus souvent des habitués à son univers) qui vont, viennent puis disparaissent sans que cela impacte un récit paresseux qui s’apparente à une tiède vengeance.
Le final, lui-même, déçoit terriblement. Refusant une confrontation digne de ce nom, il laisse un goût vraiment d’inachevé qui explique aussi l’échec commercial du film. En bref, c’est du Bebel sans les ingrédients majeurs qui ont fait le succès de ses films. Le prétexte est mince, l’action en berne et les bons mots très rares. Alors que Stallone, Schwarzenegger ou Willis cartonnaient aux États-Unis, l’heure n’était certainement pas à édulcorer notre « actioner » français. En en faisant un flic pépère qui ne flingue plus, Bebel devenait obligatoirement has-been. C’est dommage car cela conclut de façon très fadasse une période qui, pour beaucoup de gens de ma génération, fut bénie.