La pièce de Paul Claudel est magnifique, mêlant histoire avec un grand H et romances tragiques de personnages d'importance ramenés à leur petitesse et à leur condition tristement humaine par de grandes figures mystiques. Seule l'universalité de leur histoire et de leur sentiment tient du grandiose. J'ai maté cette version de Manoel de Oliveira, réalisateur portugais ayant abordé le thème du théâtre à plusieurs reprises au cours de sa filmographie avec une bande de théâtreux qui ont adoré leur séance. Sans doute étaient-ils d'avance conquis par le fait d'assister à une forme de représentation d'une pièce qui se fait, pour des soucis techniques, très rare. De mon côté, je suis un grand adorateur de théâtre également mais je suis avant tout un cinéphile, et à ce titre, je suis resté un peu sur ma faim. Le film est très fidèle à la pièce ce qui lui évite d'être mauvais mais je note ici le travail d'adaptation cinématographique. J'aurais été bien plus élogieux si je me contentais de parler de la beauté de l'histoire et des dialogues mais ce mérite n'en revient pas au film lui-même. Cette note ne reflète absolument pas mon avis sur la pièce. Je ne suis pas réfractaire au "théâtre filmé", tout dépend de la manière et de la raison d'avoir recours au style. Les réalisateurs s'y risquant (trop souvent par facilité) ont tendance à oublier qu'il n'est pas possible de retranscrire à travers un écran ce ressenti théâtral si particulier du à la proximité de la scène et des comédiens. Il y a de de nombreux exemples d'adaptations cinématographiques restant très théâtrales, c'est même devenu avec certains dramaturges célèbres, une tradition où l'hommage prend le dessus sur la volonté d'adapter. Là où le style faisait totalement sens dans Mon cas, du même réalisateur, je l'ai trouvé un peu regrettable ici.
La pièce a la réputation d'être démesurée, complexe à mettre en scène à cause de sa durée excessive ou son exigence en termes de décors et même inadaptable au cinéma. C'est donc un défi de taille pour Manoel de Oliveira qui finalement nous servira une version théâtre filmé de sept heures avec un travail assez sommaire sur le montage et les intertitres. L'occasion était pourtant bonne pour aller encore plus loin dans la démesure en s'éloignant des contraintes scéniques et des décors en carton-pâtes. Le budget ne correspondait sans doute pas à de telles ambitions. Cela peut aussi être vu comme un hommage mais il est dommage que le changement de support n'apporte finalement rien de nouveau. Là où Orson Welles luttait contre des problèmes financiers en se servant de son décor rudimentaire pour créer une atmosphère expressionniste dans son Othello, ici il n'en est rien. Il y a bien quelques scènes un peu tape-à-l'oeil, notamment l'introduction dans un théâtre majestueux rappelant celle du Henry V de Laurence Olivier mais rien de réellement marquant ou inédit. L'aspect parfois parodique des grandes tragédies est ici appuyé par un jeu théâtral encore plus forcé qui finit par sonner vraiment mauvais sans que cela ne serve de ressort comique. On va se pas mentir, avec tout ça et malgré l'excellence de la pièce et de la diction de Luis Miguel Cintra et Patricia Barzyk dans les rôles des amants qui se fuient et se poursuivent, la durée se fait terriblement sentir et laissera le spectateur non-adapté sur le carreau.
En résumé c'est une adaptation assez scolaire de la pièce, pas mauvaise mais pas non plus transcendante. Si vous aimez la pièce et que vous désespérez de pouvoir un jour la voir jouée, ça reste une bonne alternative. Le film respecte le système des "quatre journées", son visionnage peut donc se découper en grandes parties pour le rendre plus digeste.