Mal aimé, ce western italien est certainement davantage une déception qu’un ratage. Mettons d’abord Johnny de côté et replaçons-nous dans le contexte. En 1969, c’est la grande période du western. Sergio Corbucci a déjà marqué le genre en signant Django en 1966, Le Grand Silence et El Mercenario en 1968. Autant dire qu’il est un cinéaste réputé. Ce qu’on ignore, c’est que son âge d’or est sur le déclin et qu’il ne sortira plus que deux ou trois films dignes d’intérêt. Aussi quand ce Spécialiste voit le jour, on attend du cinéaste italien quelque chose d’aussi marquant que les œuvres précédemment citées. Sauf qu’il reprend un scénario qu’il avait travaillé avec Lee Van Cleef (avant de se fâcher avec lui) parce qu’un producteur lui propose de tourner avec Johnny Hallyday qui rêve de faire du cinéma et, notamment, de jouer le cowboy. Autrement dit, on est davantage dans un film de commande que dans une œuvre vraiment personnelle comme il l’aimait les réaliser.
Cependant, il monte un casting de premier plan avec, notamment, Gastone Moschin et Mario Adorf, et les Frenchies Françoise Fabian, Sylvie Fennec et Serge Marquand, preuve que le film vise plutôt le marché français qu’italien. Autre élément notable, le film ne se tourne pas à Alméria mais en Italie, et notamment dans les Préalpes vicentines et les Dolomites qui donnent un ton particulier au résultat. Autant le dire, ces choix apportent une véritable identité au film. Comme toujours avec le western italien, le récit est un alibi. Cette histoire de vengeance dans un contexte un peu flou (le frère du personnage principal a été exécuté dans un village après avoir été soupçonné d’avoir volé l’argent des notables de la ville) ne pèse pas bien lourd mais permet au réalisateur de dresser un tableau très politique de la société. Les nantis sont ainsi de bien mauvaises gens, mais les révolutionnaires, voire les hippies, ne valent pas bien mieux. Cette vision moins gauchisante est certainement le point fort d’un film qui renvoie dos à dos tous les protagonistes. Reste le cavalier solitaire qui refuse tout compromis du début à la fin de l’histoire.
À ce titre, le contexte, plus nuancé qu’à l’accoutumée, apporte plus de profondeur au propos et rien que pour cela mérite l’attention. On apprécie aussi beaucoup l’aspect iconique de l’ensemble. En héros immortel renvoyant aux figures de la bande dessinée, le personnage de Hud est vraiment digne d’intérêt. Et le final qui le montre affaibli mais toujours debout pour affronter les fauteurs de troubles ne peut que rappeler la figure de Django. En bon connaisseur, Sergio Corbucci joue admirablement des clichés comme ce dernier plan où le cowboy solitaire s’enfonce dans le soleil couchant, laissant derrière lui nantis, révolutionnaires et hippies exsangues. Dommage que l’ensemble manque cruellement de péripéties plus emballantes et que le récit ne parvienne jamais à être passionnant car la dimension mystique propre au cinéma du réalisateur se retrouve parfaitement dans le personnage interprété, disons-le avec une certaine conviction, par Johnny Hallyday. Pas le meilleur film de son réalisateur, encore moins du genre, mais un titre qui mérite mieux que sa réputation.