À l’issue de l’avant-première lilloise, la salle était partagée sur le fait de savoir si le personnage interprété par Jeanne Balibar manifestait de l’emprise sur son amant (joué par Damien Bonnard), plus jeune, preuve que le film a su éviter nombre de facilités, offrant la peinture d’une relation finalement assez complexe, sans doute assez équilibrée, dans le cadre d’une rencontre qui est aussi celle de deux milieux et de deux mondes professionnels opposés (directrice DRH polyglotte sur plusieurs continents pour elle ; directeur de travaux dans le BTP pour lui, dans l’inconfortable position d’être l’interface entre les financiers et les ouvriers, aux intérêts pas toujours convergents) : amante et sans être maternante, Jeanne Balibar incarne une figure tutélaire qu’est content de trouver l’ancien architecte dans une position fragilisée, face à des contraintes paradoxales et infernales (faire vite et bien), dans un monde professionnel assez violent, attirant de nombreux prédateurs, certains étendant la corruption jusqu’à des échelons encore plus bas.
Si le réalisateur a confessé avoir un peu changé et édulcoré le roman d’Éric Reinhardt (apparemment très sexuel), il offre un regard réaliste sur le monde du BTP, parfois cruel, mais parfois aussi assez solidaire, et parfois aussi à l’image d’un cinéma français assez paupérisé, et quand Sylvain Desclous remercie dans le générique les techniciens d’avoir accepté de signer l’annexe 3 (en gros, dispositif qui les rémunère moins), on repense à cette scène du film où le chef de chantier joué par Damien Bonnard demande à un peintre de faire plus d’heures sans être payé pour respecter.
En résumé, un bon film inquiet et assez juste, ancré dans un monde professionnel délaissé (le BTP) et une vie assez violente avec des mafieux en costumes-cravate. L’histoire d’amour est atypique, Jeanne Balibar conservant malgré l’âge une voix et un charme singulier. C’est aussi un film sur la création, et Damien Bonnard a su donner corps à l’énergie-passion.