Pas de talent, pas de problème!

En ces temps de morosité, beaucoup de monde semble se remettre en question: "Ma vie c'est de la merde, et je l'échangerais bien contre celle du roi du Maroc". Ou du moins, contre celle d'un artiste, un dessinateur, un musicien, un créateur de contenu sur le web. Et parmi ceux qui ont réussi cette reconversion, certains ne se privent pas de dire à quel point leur vie était triste avant et combien ils sont heureux maintenant qu’ils font un métier qu’ils aiment. Ainsi encouragent-ils les comptables et autres développeurs web à penser positif, à reprendre leur vie en main pour enfin vivre de leur passion, puisque après tout, la réussite ne dépend que de leur motivation.

Quand j’entends ce genre de discours, même si un part de moi à envie d’y croire, je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine aigreur.

• D’une part, parce que c’est toujours à ceux qui ont réussi que l’on demande de témoigner, et que ceux-ci donnent l’impression que c’est à la portée de tous de faire de même (ce qui pourrait laisser croire que, si ta vie est nulle, c’est quand même un peu de ta faute). Tout le monde pourrait donc vivre de sa passion. Qui, alors, pour ramasser notre merde si les éboueurs ne se trouvent pas un intérêt soudain pour la collecte des déchets ?


• D’autre part, parce que, hormis les quelques ambitions vite déçues que j’ai pu nourrir gamin, je n’ai jamais vraiment eu de rêve particulier, de projet de vie défini. Et étant bien trop médiocre dans les rares loisirs que j’aimais pratiquer plus que les autres, j’ai fini par accepter de mener ma barque tranquillement en prenant la vie comme elle vient.
  Ça peut paraître triste, et c’est peut-être de la jalousie à l'égard des gens qui s'épanouissent dans leur travail, mais ceux qui entretiennent les espoirs de toute cette génération sans vocation m’énervent.

Alors, que faire ? Faut-il planter son boulot de merde malgré tout pour viser un idéal que l’on risque de ne jamais atteindre ? Peut-on se contenter d’une vie moyenne, lorsque l’on n’a ni rêve, ni talent ?

Tel est le sujet du premier film d’Alex Lutz, humoriste « vaguement connu », comme il se qualifie lui-même.

Alex et Jeff (joué par Bruno Sanches, l’autre commère du petit journal) sont deux collègues de bureau et meilleurs potes qui vivent leur vie de couple respective sans trop s’embarrasser de questions existentielles. Jusqu’au jour où Alex recroise la route de son copain d’enfance Thibaut, devenu coach en développement personnel, qui le pousse à réaliser son rêve de carrière musicale, quitte à remettre en cause sa vie tranquille.

Quand on regarde l’affiche et la bande annonce de ce film, on peut avoir l’impression qu’on l’a déjà vu dix fois. Et quelque part, Le Talent de mes Amis est très convenu. Malgré quelques qualités très appréciables dont les gags loufoques, les chansons ringardes et les gesticulations gracieuses chères au comique alsacien, on se retrouve devant une nouvelle production où des trentenaires se rendent compte de la vacuité de leur vie et doivent gérer leur introspection ainsi que leur crise de couple. Une vraie spécialité de notre cinéma national !

Mais, parmi les habituels personnages d’adolescents attardés et d’épouses compréhensives, le coach de vie à la fois horripilant et attendrissant joué par Tom Dingler m’a particulièrement plu. Là où, dans d’autres films, il aurait fait un méchant parfait, profitant des fantasmes de son auditoire, il est ici un raté de plus qui rend visite à sa mamie et semble vraiment croire à ses théories de développement personnel, avant de se rendre compte de leurs limites. Il permet donc au réalisateur de développer son idée principale: une vie moyenne et sans talent particulier vaut tout de même la peine d’être vécue. Message d’autant plus surprenant qu’Alex Lutz et ses comparses en ont, eux, du talent et semblent s’épanouir grâce à lui.

Pour la faire courte, voilà un film de trentenaire de plus à la structure et au dénouement très classiques, mais qui a le mérite de transmettre une idée qui fait du bien à entendre.

P.S :
Je suis allé voir ce film un jour après le spectacle d’Alex Lutz (que je découvrais alors). En fin de représentation, l’humoriste, un peu gêné, s’est autorisé une pub pour son film actuellement au cinéma, et qui selon ses dires ne marchait pas très bien. Et mon expérience ne le contredira pas, nous étions trois dans la salle.