Je ne reprocherai pas, comme beaucoup de détracteurs du Temps de l'innocence, à Scorcese d'avoir voulu s'aventurer dans l'adaptation d'un roman qui ne semble pas cadrer, au premier abord, avec l'univers qui lui est familier. C'est en effet, contrairement aux apparences, un choix plutôt logique, tant les thèmes récurrents du cinéaste y abondent: la peinture naturaliste des classes sociales (ici, la haute bourgeoisie New Yorkaise fin de siècle), l'influence de ces classes sociales exercent sur l'individu, la laideur que cela peut engendrer, la passion névrotique et, last but not least, New York.
Ce qui me gène, c'est de voir toutes les intentions de Scorcese, le sens qu'il met dans chaque plan mais de constater que finalement, tout est terriblement raté presque volontairement. En sortant de cette purge, je me suis dit qu'il pensait réaliser un monument du même ordre que le Guépard de Visconti mais qu'en dépit ou à cause de tous les artifices déployés, il n'aboutissait qu'à un mélo froid et soporifique qui ferait honte à Douglas Sirk. Tout dans ce film respire l'artifice: les plans maniérés, le jeu très ampoulé de Day Lewis, la décoration sur laquelle la caméra s'appesantit pour nous gaver de son kitsch bas de gamme, tout crie que ce monde bourgeois n'est pas aussi raffiné qu'il le croit, que la vieille Europe singée n'a pas su transmettre sa finesse à travers l'Atlantique, que les interactions sociales sont froides et empruntés, sans grâce, que ce monde est vide. Pourtant, à défaut d'être suffisamment cruel dans la descriptions des parasites aux gants blancs, ou d'approfondir suffisamment les personnages pour que leur triangle amoureux finalement fort banal nous importe, ne ressort de tout cela qu'un profond ennui. On se fiche pas mal de cette passion entre archétypes narratifs ou de cette greluche de May, car rien dans le jeu des acteurs ou dans les dialogues lourdingues n'exsude la passion, la crainte ou la nuance. De même, la critique sociale tourne en rond après 1/4 d'heures de film, tout a déjà été vu et revu. On se désintéresse donc très rapidement de ce qu'il se passe à l'écran, et on compte les beaux plans hors de propos de Scorcese, qui nous rappellent que lorsque ce dernier est inspiré, sa maîtrise technique est époustouflante et qu'on pourrait donc passer un bien meilleur moment devant un Ragging Bull, un Taxi Driver ou même un Silence que devant cette grotesque parodie boursouflée.
Une très grande déception, donc.