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Je me souviens encore de mon premier visionnage de The Grey, l’un des rares films qui fut capable de me laisser un grand vide persistant une fois de retour à la réalité. Sous l’émotion de la mélodie de Marc Streitenfeld et de quelques vers d’un poème, la vie parait en effet bien injuste et cruelle.



Neige sanglante



Récit classique d’un survival viril, le présent métrage s’empare rapidement d’un synopsis simple, le faisant basculer vers le thème de la tragédie et la manière dont chacun aborde sa propre mortalité. Cette danse macabre avec les loups n’est qu’un prétexte pour révéler la véritable identité du film, sans fard, comme en témoigne les premiers plans empreints d’une gravité qui s’agrippe directement à notre âme. La Nature est une nouvelle fois investie du rôle d’impitoyable fléau, accompagnée d’un bras armé avec cette représentation de loups quasi surnaturelle, afin de confronter l’Homme à lui-même dans un enfer blanc aux paysages cinégéniques.


Soit donc l’histoire d’un crash d’avion au milieu de nulle part, où une poignée de rescapés font face à l’hostilité persistance des conditions extrêmes de l’Alaska. A leur tête, l’anti-héros John Ottway incarné par Liam Neeson, vaincu par les aléas tranchants de la vie et las de poursuivre sa route dans ce monde apathique. L’humanité émise par le film s’émancipe du slasher horrifique dans une forêt pour toucher à l’étude des caractères. Précisément la notion de survie, mais pas celle à laquelle on pense au milieu des péripéties du film, plutôt à la survie de l’humain brisé quotidiennement qui tente vainement d’avancer alors qu’il préférait se laisser mourir pour être libéré de sa peine. Une complexité que l’on ressent aisément lorsque l’on sonde le regard de Liam Neeson, comme s’il nous invitait à plonger dans son abîme de douleur et à comprendre l’abyssale désespérance de son existence. Oubliez les derniers rôles peu reluisants qui collent à sa filmographie, l’acteur se fend d’une prestation redoutable et intensive. Difficile d’ailleurs de ne pas voir en John Ottway une facette enfouie de Liam Neeson, lui qui a perdu sa femme lors d’un accident de ski. Le prix exigé pour sa performance fut donc élevé puisque le rôle a contraint l’acteur veuf à replonger dans son propre cauchemar.



Le souffle de la mort



Une scène à l’image du film est la recherche de survivants peu de temps après l’incident. Lorsqu’un passager, éventré dans les décombres de l’appareil, persiste à s’accrocher à la vie. Fixant John Ottway, celui-ci ne cède pas à la facilité en procurant à la victime une réponse purement hollywoodienne. Les mots qui sortent de la bouche du confident sont les plus difficiles à entendre, mais aussi les plus véridiques. Le personnage de Liam Neeson décide de prôner l’honnêteté et ne berce pas le mourant d’un mensonge réconfortant au sujet de sa survie. Il s’agit là du point de départ du récit et du cap que le métrage maintiendra jusqu’à la fin. Celui de montrer la mort telle qu’elle est, préparant chacun pour le dernier souffle de la manière la plus rude et vraie.


Ode à l’humanité, film sur le malheur, la tristesse, et la peine, The Grey remorque avec son large thème certains éléments indissociables. Car quand on sent la mort venir nous prendre, au fond de nous, croyant ou non, nous nous posons des questions sur la suite. Est-ce la fin ? Quand le sort s’acharne et quand la finalité semble inéluctable, beaucoup se raccrochent à la foi afin de trouver un sens à la vie et à la mort. Se questionnant sur l’après, mais aussi sur les actes passés et les remords. Les choses que nous voulions faire ou faire autrement. Un tourbillon de pensées diverses qui, j’en suis sûr, a envahi l’esprit de John Ottway lorsqu’il implora au Seigneur de prouver son existence au moment semble-t-il le plus opportun en étant si enlisé dans le désespoir. Sans doute pour bénéficier de la preuve tant recherchée en vain, mais sans doute aussi pour désigner un coupable à blâmer pour tous les maux du monde.



Vivre et Mourir



Cette narration était une matière idéale pour s'aventurer sur les chemins tortueux de l'âme et explorer les mystères de l'existence. John Ottway récite les vers du poème de son père, tandis que le regard déterminé du loup se plonge dans le sien. Résonne le grognement de deux combattants engagés dans une lutte à mort :



Once more into the fray
Into the last good fight i'll ever know
Live and die on this day
Live and die on this day


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le 4 sept. 2020

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Death Watch

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