Au bout du compte, il n’aura été... que Français.

Je ne pouvais pas ne pas le voir.
Un film sur les luttes de pouvoir entre Deschanel, Clemenceau et Millerand ? Non mais comment résister face à autant d’audace !
Alors certes, en général ce genre de contrepied là, c’est soit la promesse d’un geste d’auteur bien installé pouvant imposer des choix particulièrement forts, soit c’est juste annonciateur d’un pensum bourgeois totalement imbuvable mais qui a été rendu possible grâce à tout un réseau de connaissances bien fortunées…
…Seulement voilà, au regard du casting affiché, j’ai eu vite fait de me convaincre que j’éviterais sûrement le second cas de figure. Et si au final j’ai bien échappé au pensum, malgré tout je n’ai pas su trouver en contrepartie l’audace tant espérée…


Alors pourtant, il est vrai que ce Tigre et le Président n’est pas dénué de savoir-faire.
Il est évident que Jean-Marc Peyrefitte a non seulement eu le souci de la narration juste mais qu’en plus de cela il a aussi eu celui de la narration cinématographique.
Le début témoigne d’une volonté manifeste de ne pas s’enliser dans un déroulement linéaire et pompeux. Une ligne d’attaque est immédiatement posée pour mettre en intrigue ce personnage de Paul Deschanel comme un oublié injuste de l’Histoire, tout comme son opposition à Clemenceau est vite amenée et surtout habilement conduite.
Il faut dire que les acteurs qui campent les deux rôles principaux – André Dussolier et Jacques Gamblin sont à leurs aises, aidés qu’ils ont été par des dialogues efficaces, sachant même parfois se faire quelque-peu piquants.
Difficile également de ne pas être sensible à une mise-en-scène qui n’oublie pas de parler au-delà des discours. Le poids des dorures élyséennes qui pèsent sur les épaules de Deschanel, les courses alambiquées dans des couloirs qui ne savent autoriser que les marches des esprits droits, les rêveries et autres hallucinations qui finissent par assaillir le Président sur les points les plus oppressants de son mandat sont autant de bonnes idées qui ont pour mérite de faire de ce Tigre et le Président un film cohérent, de bout en bout…
…Presque un film auquel on aurait envie de céder de la sympathie.


Malheureusement, force est de constater que ce film n’en reste pas moins lisse, fade, sans force…
…Un film à l’image de son sujet en somme. Paul Deschanel.
Parce qu’en effet, à bien tout prendre, le Tigre dans ce film reste désespérément enfermé dans la cage du second plan. Il apparait de temps en temps mais n’est jamais vraiment posé comme un sujet à part entière.
Plus comic relief que véritable stratège politique, Clemenceau n’a pas l’épaisseur nécessaire pour vraiment décentrer l’œuvre de son Président en pyjama.
Or Paul Deschanel avait-il les épaules assez larges pour porter à lui seul ce film ? Était-il vraiment ce personnage complexe que l’Histoire a oublié par la faute d’une nuit fâcheuse passée en train-couchette ?
Franchement non.


Déjà, il est tout de même assez cocasse de constater à quel point Peyrefitte a eu besoin de remodeler le personnage dans l’espoir de le rendre un tantinet intéressant.
Dans ce Tigre et le Président l’un des plus ardents soutiens de la guerre qu’était Deschanel devient un pacifiste ; de même que son opposition à la ratification du traité de Versailles – qui était à l’origine motivée par le désir de sanctions plus contraignantes – deviennent dans ce film une ardente volonté d’épargner l’Allemagne et d’éviter une vengeance. Quant à ses mesures sociales – réduites pour l’essentiel aux seules questions du soutien fait aux veuves et aux orphelins de guerre – voilà qu’elles deviennent sous la plume de Peyrefitte une volonté d’ouvrir le vote aux femmes et d’instaurer la sécurité sociale !
Mais bon, malgré toutes ces fantaisies-là, le Deschanel de ce Tigre et le Président n’en demeure pas moins un héros pour lequel il est bien difficile de s’enthousiasmer.


Devenu simple prétexte pour incarner l’inertie du pouvoir français (passé comme actuel) ; empêchant les hommes justes et droits d’y appliquer leur vision au service du pays, ce Deschanel-là ne parvient à aucun moment à sortir de ce carcan vitrifié qui interdit toute passion ainsi que toute fascination.
En fait ce Deschanel est vraiment à l’image du film qui l’a fait. Il est désespérément…
Français.


Français, dans le sens où, aujourd’hui, dans ce pays il n’y a pas trente-six façons d’exister en tant que long-métrage pouvant aspirer aux salles obscures.
Les genres sont verrouillés tout comme l’accès de celles et de ceux qui pourront espérer les mettre en pratique. Les passe-droits et passerelles de contournement sont rares et, malheureusement, ce Tigre et le Président n’est pas issu de ses traverses là.
En fait ce Tigre et le Président n’est finalement pas si éloigné que cela du pensum que je craignais tant.
Certes il est habité par une réelle habilité et une sincère envie de bien faire – et c’est ce qui le sauve – mais il n’en reste pas moins encrouté dans un imaginaire et des préoccupations qui n’émoustillent (et encore !) que celles et ceux qui sauront trouver une quelconque satisfaction dans cet éloge des révolutionnaires en pyjama de satin qu’on retrouve entravés dans des dorures dont on aime avec complaisance blâmer les lourdeurs tout en les appréciant sans le dire comme le meilleur des moindres maux.


En cela, oui, ce Tigre et le Président est désespérément bien français.
Au fond il n’est qu’une déclinaison supplémentaire – et à peine de meilleure qualité – de ces films anesthésiants que notre cinéma hexagonal produit régulièrement sur le pouvoir : du lymphatique Quai d’Orsay jusqu’au récent et accablant Alice et le Maire, le tout en passant par le consternant Exercice de l’État.
Et si d’un côté j’ai envie de saluer la volonté de faire les choses proprement, avec savoir-faire et rigueur, de l’autre je ne peux que constater le résultat bien plat avec lequel on se retrouve en bout de course.


Alors soit, au final peut-être n’aura-t-on retenu de Paul Deschanel que sa chute saugrenue de train, mais si c’est le cas, c’est aussi qu’au-delà de ce fait saugrenu, il n’y avait rien d’intéressant à en retenir…
…Et je crains malheureusement qu’il n’en soit de même de ce Tigre et le Président qui, malgré quelques bons mots et du beau casting, n’aura finalement que pour seul mérite d’être, parmi les mots du cinéma français, l’expression du moins pire.

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le 26 sept. 2022

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