Le Train sifflera trois fois est un titre qui parle facilement, même si l’on ne connaît pas spécialement le film. Celui-ci est devenu, avec le temps, un classique du western, dans un style qui le différencie assez de beaucoup de ses semblables.
Dans Le Train sifflera trois fois, pas de longues chevauchées, pas d’escarmouches d’Indiens, pas de grands espaces. Nous restons dans une petite ville dont le shérif s’apprête à rendre son étoile suite à son mariage avec une jeune femme quaker avec qui il projette de partir. Cependant, au beau milieu de tous ces projets d’avenir, le passé a décidé de mettre son grain de sel et d’accabler l’homme qui va devoir faire face à une sinistre vérité et à un destin des moins encourageants. D’abord résolu à fuir loin de l’homme qu’il avait autrefois mené à la condamnation à mort, il décide, finalement, de faire face. Le shérif, alors si complimenté par les invités du mariage qui lui témoignent énormément de chaleur et de respect, doit vite élaborer un plan, car, dans moins d’une heure et demi, son ennemi viendra pour en découdre.
Pour le shérif Will Kane (Gary Cooper), la solidarité de la ville sera essentielle pour éviter que le bandit ne vienne y semer la terreur. Alors que les premières impressions du spectateur mènent à penser qu’il parviendra à lever une petite armée, il n’en sera rien. Car, au fil de ses rencontres et de ses sollicitations, les masques vont peu à peu tomber. Peur, lâcheté, ressentiments, tous ont une bonne raison de laisser le shérif partir braver le danger seul. Tous parlent, aucun n’agit. Le Train sifflera trois fois met en images une société certes déjà construite, institutionnalisée, mais qui demeure encore désunie, où les valeurs de solidarité et d’altruisme sont délaissées au profit des intérêts personnels. Les interactions avec les autres personnages sont l’occasion d’élaborer le portrait de Kane, tout comme celui du bandit, plus complexes et moins manichéens que l’on pourrait penser.
Le bandit est l’ennemi affiché, alors que certains l’appréciaient en ville, tandis que le shérif a le soutien et l’empathie du spectateur pour lui, mais il doit faire face à la défiance d’une population qui, face à une autorité qu’on aurait pu qualifier de « saine » dans sa capacité à faire vivre la ville en paix, réagit par la méfiance et la rébellion. C’est ainsi que le parcours du shérif se retrouve empreint d’une forme de mélancolie, voire de tristesse, face à ce délaissement unanime, qui fait grandir la peur du shérif, et celle du spectateur avec. Comment cela va-t-il bien se terminer ? Et le cinéaste aime jouer avec cette tension grandissante, en l’alimentant en permanence. Il le fait notamment en racontant son histoire quasiment en temps réel, montrant souvent l’heure à la caméra pour bien prouver que le temps écoulé dans notre réalité est le même que celui écoulé dans le film. Tout, alors, devient prétexte à faire craindre l’approche de l’heure fatidique, au même rythme que les soutiens du shérif s’égrènent.
Le Train sifflera trois fois brille par sa capacité à raconter et à illustrer la solitude, parvenant à générer de la mélancolie dans un cadre écrasé par la tension et le suspense. Gary Cooper endosse à merveille ce rôle d’homme faisant preuve d’autorité mais qui est surtout ici montré comme fragile et désemparé. Il donne la réplique à Grace Kelly dans l’un de ses premiers rôles, et le spectateur sera aussi amusé de voir Lee Van Cleef dans son tout premier rôle, des années avant sa consécration devant la caméra de Sergio Leone. Sergio Leone, dont on percevrait presque, en avance, les prémisses de son cinéma, notamment lors d’un passage où se succèdent divers gros plans venant accroître la tension liée à une situation, mais aussi dans l’ambiance générale du film, très aride, ainsi que dans sa construction, où tout est fait pour mener à un instant où tout éclatera soudainement.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art