Une ballade entêtante, une ambiance lugubre, une petite ville assiégée, le marshal abandonné de ses hommes qui doit faire face seul au danger, la femme froide qui abandonne son homme dans l’heure qui suit le mariage ... Le train sifflera trois fois, c’est un film qui contient beaucoup de symbolisme à cause de l’époque à laquelle il appartient. C’était l’époque de l’hystérie communiste et de la liste noire d’Hollywood. Les sympathisants soviétiques sont traqués par l’industrie du cinéma. De nombreux acteurs et réalisateurs sont accusés, malgré l’absence ou le manque de preuves qu’ils étaient réellement communistes. On les a écartés du milieu, alors qu’ils n’avaient jamais été, ni de près ni de loin, membres du parti communiste. Fred Zinnemann, le réalisateur du film, fait partie de ces victimes du système hollywoodien.
Will Kane (Garry Cooper) est le courageux marshal de Hadleyville, une petite ville du Kansas qui était autrefois le terrain de jeu des méchants, dont un certain Frank Miller. C’est un petit village perdu au milieu de nulle part, mais Kane l’a nettoyé. Il y a cinq ans, il a fait condamner Frank Miller pour meurtre devant un tribunal fédéral. Aujourd’hui, alors que Kane épouse Amy (Grace Kelly), la nouvelle arrive que Miller est maintenant libre et se dirige vers Hadleyville pour se venger. Ses hommes de main se rassemblent au dépôt et tout laisse indiquer que Frank arrivera dans le train de midi pour régler ses comptes avec le marshal qui l’a arrêté. Kane doit-il quitter la ville avec sa fiancée ou doit-il rester pour affronter le gang Miller ? Les citoyens vont-ils se rallier à lui ou l'abandonner seul face au danger ? Les désirs humains sont vains face au destin.
Fred Zinnemann a soigné la mise en scène et la photographie du film et c'est un effort qui a porté ses fruits. Dès l'apparition de Lee Van Cleef, avec ce visage tout de suite reconnaissable (et inquiétant) et cette silhouette se déplaçant comme une ombre à l'horizon, on sait que le danger est imminent. La mise en scène multiplie les coupes, les gros plans sur les visages et cette vision entêtante de la voie de chemin de fer centrale, qui semblent accélérer l’arrivée du train fatidique.
Le train sifflera trois fois c’est clairement un film qui parle d'abord à travers les images. Les étendues arides et plates du Kansas reflètent un ciel gris, sans le moindre nuage (chose peu commune dans les western de cette époque). Les structures branlantes de la ville semblent bien chétives, face à la magnificence de la nature sauvage. Les voies ferrées s’étendent au loin, convergeant vers un point de fuite, l’endroit symbolique d’où arrivera Frank Miller. Tapis dans un recoin du quai du gare, les hommes du gang Miller attendent leur chef, présence qui ne fait qu'ajouter de la tension au film.
Fred Zinnemann n’a pas peur des gros plans, qu’il utilise à l'excès pour notre plus grand plaisir. C'est vraiment très efficace pour nous faire ressentir les moments de tension. C'est un peu une mise en scène à la Sergio Leone, avant l'ère Sergio Leone. Il filme également Kane au centre du plan, à hauteur de taille et en plan resserré, pour souligner sa position haute et droite comme symbole d’autorité morale. Garry Cooper est magnifié par la mise en scène et son sort en devient d'autant plus tragique. En effet, il réalisera très vite qu'il ne peut compter sur personne, pas même sur son ancienne fiancée Helen Ramírez (Katy Jurado) et encore moins sur son second incarné par Lloyd Bridges (hilarant bien des années plus tard dans Hot Shots 1&2) ...
Grace Kelly sera la seule à venir à son soutient au tout dernier moment et son aide sera précieuse, puisqu'elle lui sauve la vie.
Gary Cooper avait 51 ans au moment du tournage, tandis que Grace Kelly avait à peine 22 ans (presque trente ans les sépare). Il y a clairement un trop grand écart d'âge entre Gary Cooper et Grace Kelly, ils font des jeunes mariés peu convaincants. Gary Cooper est en vérité trop vieux pour le rôle. Un acteur comme Gregory Peck ou Robert Mitchum, plus jeunes que lui, auraient peut-être mieux convenu au rôle. Et pourtant, malgré la grande différance d'âge, c'est difficile d'imaginer quelqu'un d'autre que Gary Cooper dans ce rôle, après avoir vu le film. Lui seul pouvait lui apporter une telle humanité, n'ayant pas peur de se montrer fragile par moments ... chose que Gregory Peck ou Robert Mitchum auraient eu bien du mal à assumer. Et même si le script essaie tant bien que mal de donner un peu de vie et de chaleur à ce couple peu harmonieux, l’impression durable de Grace Kelly est celle d'une froideur immaculée.
Lloyd Bridges est excellent dans le rôle du second du marshal, qui veut être marshal à la place du marshal. Il apporte à son personnage un petit côté immature assez délicieux. Katy Jurado, vue également dans Pat Garrett et Billy le Kid de Sam Peckinpah, n’a jamais été aussi belle qu’ici. Elle est très touchante et finalement c'est elle qui vole la vedette à Grace Kelly, en jouant la femme déchue qui aimait Kane et qui l’aime toujours. Pour Lee Van Cleef, c'est son tout premier rôle au cinéma, un tout petit rôle qui serait bien insignifiant si ce n'était pas lui qui l'avait incarné. En l'espace d'à peine deux ou trois gros plans, son visage marque les esprits et c'est le seul à ressortir parmi le gang Kane.
Un développement intéressant du scénario est l’étrange alliance qui se forme entre les deux femmes de Kane, Helen et Amy. Elles se rencontrent dans la chambre d’hôtel d’Helen et décident de quitter la ville ensemble. De manière significative, alors qu’elles passent devant Kane dans le charriot tiré par les chevaux, c’est Helen qui regarde en arrière, pas Amy. L'autre élément important de l'histoire, ce sont les horloges qui sont partout à Hadleyville. Le passage des minutes est constamment souligné et le film étant censé se dérouler sur une heure, en temps réel, c'est un procédé très efficace pour appuyer la tension du film.
Seul point noir pour la part, j’ai trouvé l'affrontement final entre Kane et le gang Miller assez décevant, surtout venant après toute la tension accumulée sur la première heure du film. Par contre, la toute dernière scène où Kane laisse tomber son badge sur le sol est mémorable. Le train sifflera trois fois est certainement l’un des westerns les plus efficaces de toute l’histoire du cinéma, mais pas sans défauts. Mon note finale sera donc 8/10.