Ecrit directement pour l'écran par le romancier anglais Graham Greene, le Troisième homme est l'un des films britanniques les plus célèbres de l'immédiate après-guerre, et en même temps un grand moment de cinéma. C'est une enquête dans les décombres de la capitale autrichienne et parmi la faune interlope issue des ruines de la guerre et de la division politique de Vienne. A mi-chemin entre l'expressionnisme allemand (surtout pour la vision de Vienne dévastée par la guerre) et le réalisme poétique français, le film baigne dans une atmosphère de cauchemar fascinant. Bien que crédité au générique seulement en tant qu'acteur, il se murmure qu' Orson Welles a sans doute mis le nez dans la mise en scène tant certains plans rappellent le style de l'auteur de Citizen Kane et de la Soif du mal, notamment la rencontre entre Cotten et Welles sur la grande roue, et surtout l'infernale poursuite dans les égoûts de Vienne. Mais Welles n'a jamais voulu révéler la vérité là-dessus, par égard pour Carol Reed, réalisateur britannique déjà réputé qui signe le film. Le pire, c'est que la publicité de l'époque mettait Welles en vedette alors qu'il n'apparait en fait que dans très peu de scènes ; les vedettes sont bien Joseph Cotten, Alida Valli, Trevor Howard et accessoirement Bernard Lee (le futur M des James Bond).
Ici, comme chez Hitchcock ou chez Sergio Leone, la musique joue un rôle capital, surtout par le côté insolite de la cithare d'Anton Karas, instrument peu courant, qui scande de façon lancinante la plupart des actions ; musicalement, elle a une valeur anodine, mais cinématographiquement, elle est percutante et reste indissociable du film qui, je le rappelle, fut fraîchement accueilli à sa sortie, malgré la Palme d'or à Cannes en 1949. Et ce pour différentes raisons : le film aborde le problème de la délation (doit-on dénoncer un ami lorsqu'on découvre que c'est un criminel ?) ; derrière ce cas de conscience, se profile une analyse politique dont les traits des personnages restent troubles en s'entremêlant de façon peu favorable pour les nations auxquelles ils appartiennent, ce qui explique que ni la critique européenne, ni la critique américaine ne firent bon accueil au Troisième homme.