Le Vent se lève par Benjicoq
Magnifique dernier film de Miyazaki. Il a ceci d'étrange qu'il semble assez éloigné de tous ses grands films, puisque la magie, l'animisme et les apparitions surnaturelles n'y font aucune apparition. Il semble également pour une fois ignorer son public habituel (les enfants) et est un film résolument pour adultes. Non pas qu’il soit trop violent , mais les complexités de l’histoire et des sentiments évoqués leur échapperont à coup sur (Les quelques enfants emmenés par leur parents croyant les mettre devant un dessin animé mignon semblaient complètement perdus, et s’ennuyaient visiblement). Le film se centre sur le récit de la vie d’un homme, là encore en se détournant des héroïnes habituelles du maitre. Le vent se lève est un film qui est dans la rupture avec les oeuvres précédentes de Miyazaki
Pourtant on retrouve dans le Vent se lève bon nombre de thèmes qui sous-tendaient sa filmographie. Un farouche pacifisme , l’aviation et les machines volantes, la nature à la fois belle et menaçante … Mais Miyazaki y aborde probablement pour la première fois des choses vraiment de l’ordre de l’intime, où les correspondances avec sa vie (la tuberculose qui avait atteint sa mère est évoquée avec beaucoup plus de détails que dans Totoro, ou elle restait hors-champ, le personnage principal evoque aussi clairement son père qui était directeur d’une usine de pièces qui ont servi à la construction des zero…) et son état d’esprit à la fin de sa carrière sont nombreuses. Son discours sur la création semble vraiment être son testament qu’il nous livre en filigrane.
Le film est la biographie aménagée (Miyazaki a ajouté de nombreux passages et en a modifié quelques autres) de Jirō Horikoshi, l’ingénieur japonais qui a créé le Zero, l’avion chasseur japonais qui a servi pendant la seconde guerre mondiale. Jirō est un jeune enfant qui rêve de voler , mais que sa myopie condamne au sol. Il decide alors de consacrer donc sa vie à créer des avions en devenant ingénieur pour rester au plus près de son rêve. Pendant le cours du film, on le verra payer le prix de sa passion. Pour approcher son rêve, il mettra son grand amour de côté, en laissant mourir sa femme de la tuberculose, la gardant près de lui alors qu’elle devrait être soignée au sanatorium pour ne pas manquer le moindre instant de sa présence - à la fois grand romantique et, soyons honnêtes, égoiste. Il se mettra des oeillères pour ne pas voir que son art a avant tout pour finalité de devenir des instruments de morts. Ces ambiguïtés font du personnage principal un être assez ambivalent, à la fois peu aimable et profondément bouleversant. Les séquences de rêves où il règle ses comptes avec ces point d’ombre sont terriblement perverses : elles sont sublimes, mais elles evitent à Jirō de se confronter à ces obstacles dans la réalité. Et comme le dit la citation de Paul valery qui ouvre le film, « Le vent se lève, il faut tenter de vivre !» . Il faut vivre, et c’est là tout le dilemme du héros. Cet aveuglement qu’il a vis a vis des horreurs qu’il devrait pourtant voir (le voyage chez l’allié Allemand Nazi qui ne lui épargne pourtant rien, cet allemand qu’il rencontre au japon qui a de sacrés problèmes à cause de son opposition aux nazis, justement…) ou des bassesses dans lesquelles il se complait parfois.
Miyazaki pour son dernier film en tout cas ne faiblit pas, sa mise en scène atteint des sommets rarement égalés, même dans ses propres films. Les séquences oniriques que j’évoquais plus tôt son incroyables de virtuosité. La scène du tremblement de terre est elle aussi incroyable ; le traitement sonore y est assez inouï, la violence qui est montrée n’est illustrée que par des grondements de voix et le bruit du vent. Partout dans ce film en tout cas, Miyazaki réussit une chose qui me semblait impossible , et plus encore en animation : filmer le vent. Tous les plans sont traversés d’une energie folle, les nuages, les cheveux, le moindre brin d’herbe ou le moindre pan de tissu a une vie propre et est en meme temps mis en branle par le vent. Et plastiquement, que ce soit les couleurs, les décors, l’animation, tout est de très haut niveau.
J’aime toujours autant le soin qu’il prend à décrire la vie quotidienne, on découvre dans ce film un japon du début du siècle, au tournant de la modernité , et historiquement, c’est aussi une belle découverte. Ce genre de choses ne sont pas ouvert montrées…
En mettant de côté ses demi-dieux, ses démons, sa magie et son innocence pour son dernier film, Miyazaki part sur un film qui n’est pas tourné vers son passé, et je trouve ça très bien. Son oeuvre passée est toujours là, et il a fait un film qui lui tenait a coeur, grand bien lui a pris.