Je poursuis tranquillement mon petit cycle assez involontaire autour de la guerre civile irlandaise. Après La jeune folle, le point de départ, Les banshees d’Inisherin, la possibilité d’un cycle, voici Le vent se lève, sûrement le film le plus évident du cycle. Loach est aux manettes, on sait dès lors que le cycle prend un tournant social.
1920-1922. C’est la période couverte par le film. L’IRA est en résistance active contre l’occupant britannique jusqu’au traité mettant fin à une République moribonde et installant l’État Libre d’Irlande, sous la coupe de la couronne britannique. Une fois l’Anglais foutu dehors, on fait quoi ? C’est la question qui se pose à l’IRA et aux deux frères qui sont les principaux protagonistes du récit.
On sait que Loach aime dire les choses crûment, comme elles ont. Dire une guerre crûment, ça signifie montrer des choses sales. Dont acte. La première partie, qui concerne la lutte contre l’armée britannique, verra donc se succéder, humiliations et meurtres de civils irlandais, tortures et exécutions de combattants de l’IRA. Cette guerre coloniale qui ne dit pas son nom en a toutes les caractéristiques. Le Royaume-Uni, qui aurait plutôt tendance à vanter sa capacité à construire des compromis, apparaît ici comme le plus vil des régimes coloniaux, presque au niveau de la République française, c’est dire. Cette première partie rappelle combien Loach sait manipuler son spectateur et créer chez lui ce sentiment de révulsion et cette colère face à l’injustice. Mais plus que le projet nationaliste (à lire dans le sens de « libération d’une nation »), c’est la brutalité et l’injustice qui est mise en avant. Pour autant, l’identité irlandaise n’est pas absente. Ainsi, le gaélique est utilisé par moment et la culture (religion, loisir, musique) est omniprésente. Mais le propos n’est clairement pas à la défense de ce qui fait la nation irlandaise.
La deuxième partie du film expose les tensions et les déchirures que va provoquer la signature par Michael Collins du traité de paix proposé par la couronne britannique. C’est une paix négociée, une paix à l’anglaise qui pourra rappeler la méthode indienne. Se pose alors la question suivante : Négocier, c’est trouver un compromis, mais est-ce aussi se compromettre ou renoncer à ses objectifs ? Ce qui revient à définir les objectifs de la lutte armée. Il y aura alors les partisans d’une paix démocratique qui permettrait à terme d’aller vers l’indépendance pleine et entière et les partisans d’une poursuite du combat pour une Irlande républicaine et … socialiste. Et c’est là qu’on retrouve un des thèmes chers à Loach. Si le théâtre des opérations est bien la verdure irlandaise, le débat est toujours celui de la lutte des classes et in fine de la IIIe internationale. Le drame, en dehors des enjeux idéologiques, se joue à l’échelle des personnages dans une guerre fratricide qui interroge constamment le prix à payer pour l’accomplissement d’un projet. Il met en lumière aussi l’impossibilité de stopper la machine de la violence une fois que celle-ci est lancée, car le ressentiment et l’esprit de vengeance nourrissent la conviction puis la haine. On sait comment finit l’histoire et à vrai dire, cela rend beau mais vain le combat du personnage principal, intègre jusqu’au bout et donc jusqu’au-boutiste dans son intégrité. La mise en scène est au service de cette réflexion et des émotions du spectateur, sobre et réaliste. L’interprétation est nickel et on aime toujours voir Cillian Murphy où qu’il soit. Comme toujours, Loach témoigne d’un grand respect pour la diversité des accents et ceux-ci sont ici magnifiques d’expression.
En bref, c’est bien le rôle de la tragédie que d’être tragique. Ken Loach nous propose un destin lourd et des questionnements difficiles mais orientés dans un film qui n’en finit pas de décrire l’engrenage de la violence et dans une œuvre globale qui met toujours la misère du peuple au centre des préoccupations. Il replace l’Irlande dans la grande histoire mondiale du XXème siècle, entre aspirations socialistes et décolonisation, l’un servant l’autre. Un film fortement conseillé donc.
>>> La scène qu’on retiendra ? L’avant-dernière scène, la dernière confrontation, parce qu’elle résume parfaitement ces deux années de 1922-1923.