Paris,1930.Le docteur Léon Galipeau conseille à son frère Emile d'acheter en viager la maison tropézienne de son patient Louis Martinet,un sexagénaire dont il estime la durée de vie très limitée.Mais bizarrement le subclaquant va se requinquer et continuer à vivre pendant des décennies,enterrant un à un les membres de la famille Galipeau en dépit des tentatives de meurtres répétées qu'ils commettent pour enfin se débarrasser de l'increvable vieillard.Pierre Tchernia,pionnier de la télévision où il fut un célèbre animateur,notamment de l'illustre émission "Monsieur Cinéma",a réalisé quelques films,celui-ci étant le meilleur."Le viager" est curieusement placé sous le signe d'Astérix puisqu'il est produit par les Films Dargaud,branche ciné de l'éditeur des BD,réalisé par Tchernia,adaptateur de plusieurs dessins animés Astérix,qui a coécrit le scénario avec René Goscinny,l'auteur et créateur des aventures du petit gaulois.En outre la musique est signée Gérard Calvi,qui a composé plusieurs fois pour la saga animée Astérix.Encore plus fort,on retrouve dans le film des acteurs qui apparaitront beaucoup plus tard dans les Astérix live,comme Michel Galabru,futur Abraracourcix en 99 dans "Astérix et Obélix contre César",ou Gérard Depardieu qui deviendra le titulaire du rôle d'Obélix.Tchernia et Goscinny ont ici concocté une insolente comédie anarchisante qui traverse étonnamment bien le temps et n'a aujourd'hui rien perdu de son actualité et de son efficacité.Mine de rien ils nous content quarante ans d'Histoire française du XXe Siècle,guerre 39-45 comprise,par le biais d'une étude ironique de la bassesse humaine.L'oeuvre,vu son sujet,aurait facilement pu sombrer dans la gaudriole mais les auteurs réussissent un petit miracle d'équilibre,dû sans doute au mélange détonant de la tendresse de Tchernia et de l'acidité de Goscinny.Ils choisissent de prendre la situation à contre-pied et de faire rire à partir d'une procédure morbide qui a une assez mauvaise réputation,plutôt injuste d'ailleurs.Spéculer sur le décès de son prochain peut à première vue sembler scandaleux mais le viager est un arrangement souvent bénéfique pour les deux parties,des propriétaires en difficulté financièrement trouvant là un soutien bienvenu.Après c'est un pari susceptible de mal tourner pour les uns ou les autres,comme ici lorsque le vendeur s'éternise et que les acheteurs craquent au point de se transformer en meurtriers.Habilement entrecoupée d'images d'archives bien utilisées,l'intrigue déroule l'inventaire de la lâcheté,de l'opportunisme,de la cupidité et de la bêtise d'une certaine bourgeoisie d'antan sans pour autant caricaturer les protagonistes.Aussi piteux soient-ils,les Galipeau conservent leur part d'humanité et on peut comprendre,sans bien sûr les approuver,les raisons de leurs agissements,qui de toute façon se retournent systématiquement contre eux.Si la déveine les poursuit inlassablement,une chance surnaturelle accompagne Martinet.C'est un très brave type mais également un parfait imbécile heureux,sincèrement persuadé que ses acheteurs sont des amis à qui il doit tout.Il les adore,sans se rendre compte qu'ils le détestent et ne pensent qu'à l'occire,ce qui énerve encore plus les potentiels assassins.Les morts sont ainsi astucieusement disséminées tout au long du récit,faisant à chaque fois l'objet d'un traitement original.C'est constamment drôle,délicieusement cynique quant aux faiblesses de la nature humaine,notamment en temps de guerre,et la reconstitution historique fonctionne sans pour autant bénéficier de gros moyens.Une grande variété de protagonistes aux personnalités très affirmées est déployée sur l'écran,portée par une fantastique troupe de comédiens au taquet.C'est évidemment Michel Serrault,l'acteur fétiche de Tchernia,qui assure l'essentiel du show en incarnant cet homme un peu simplet mais irrésistiblement sympathique avec une gourmandise qui avale littéralement l'écran.Son vieillissement est bien rendu et on voit son physique évoluer de 60 à 100 ans sans que son caractère joyeux et optimiste ne change.L'autre Michel,Galabru,offre une performance absolument énorme en médecin à bout de nerfs.Le gars est un concentré stupéfiant de suffisance et de stupidité,assénant pendant tout le film une ribambelle de sentences définitives,sans jamais se remettre en question alors qu'il se goure invariablement à propos de tous les sujets,qu'il s'agisse de médecine,ennuyeux pour un toubib,d'immobilier,de finance ou de politique.Il entraîne dans ses calamiteuses plantades son frère soumis,prodigieux Jean-Pierre Darras,qui finira par complètement péter les plombs.Leurs épouses ont les traits d'Odette Laure,grand numéro de gentille cruche,et Rosy Varte,impériale en harpie venimeuse.Le fils de Darras et Varte,un petit voyou irrécupérable,est interprété par un jeunot qui fera du chemin nommé Claude Brasseur,dont le talent et la présence sont déjà évidents.Il y a en plus le vieux couple des parents de Rosy que forment les vétérans Noël Roquevert,irrésistible comme toujours,et la sèche et sinistre Madeleine Clervanne,convaincante en aïeule raide et autoritaire.Par ailleurs le casting regorge de visages connus qu'on est ravis de découvrir au détour d'une scène ou deux,les Yves Robert,Claude Legros,Jean Carmet,Jean Richard,Bernard Lavalette,Jacques Hilling,Jacques Bodoin,Gabriel Jabbour,Philippe Castelli,les frangins Paul et Jacques Préboist ainsi qu'un Gérard Depardieu alors débutant.