Ayant été biberonné aux films français des années 60 et 70 (principalement par tropisme familial), j'étais passé au travers de ce film dans mon adolescence. Et pour une fois, j'en suis heureux.
En pleine Occupation, quelques semaines après le Débarquement de Normandie, Julien Dandieu est chirurgien du petit hôpital de Montauban, où il soigne sans distinction civils, résistants et milicien. Face à l'arrivée prochaine des libérateurs et des combats que cela pourrait engendrer, il décide d'envoyer sa femme et sa fille à la campagne, dans le vieux château de famille qu'il possède et retape lentement. Mais il est impossible de parler de ce film sans spoiler alors :
Lorsque Julien va les rejoindre au bout de quelques jours, il trouve dans la petite église locale enfants, adultes et prêtres massacrés, puis dans le château, le corps de sa fille criblée de balle, et celui de sa femme complètement brûlée. Commence alors une histoire de vengeance.
Julien va s'armer d'un vieux fusil et tuer un à un l'ensemble des soldats se trouvant dans le château, allant même jusqu'à chasser des résistants arrivant pour libérer le village, car il veut sa vengeance pour lui-même, rien que pour lui-même. Utilisant sa connaissance du lieu et de ses passages secret, il devient un boogeyman, la mort inéluctable qui attend les nazis, enfermé dans ce château coupé du monde.
Ce qui marque d'abord, c'est la violence âpre de ce film. D'abord, dans les scènes de viol et de massacre, qui m'ont pris au tripes, avec des plans extraordinaires de qualité pour souligner la violence des actes entrepris (les plans au lance-flamme, le premier qui tue la femme de Julien, et le second, celui qui fait fondre le miroir, sont incroyablement mis en scène). Puis il me restera en tête cette scène où il enferme deux soldats dans une fosse, pour les laisser s'y noyer lentement. La fatalité de leur mort est à peine souligné par la mise en scène, et elle en devient encore plus terrible, tant ils sont terrifié et anonymes, simplement deux cases à cocher pour compléter une vengeance.
Le film est magnifié par le jeu de Noiret, toujours très sobre, mais il charrie avec lui une ombre d'émotion et de détermination incroyable. Il l'est encore plus par ces flashbacks, extradiégétiques pour la plupart, de l'histoire d'amour entre Noiret et Romy Schneider (incroyable elle aussi), mais le plus beau est intradiégétique, lorsque les soldats regardent un film de vacances de la famille, que Dandieu observe derrière la vitre sans tain. Enfin, chose essentielle, je n'ai pas l'impression que le film fasse de Dandieu un héros. On ne reparle plus de ses actes dans le court épilogue, comme s'ils n'avaient jamais existé. Et il ne lui permettent pas de trouver sa paix, face au déni de la mort de sa famille dans les dernières secondes.
Ce film est une sorte de catarsis, tant il évoque directement les évènements d'Oradour-sur-Glance, où une unité de SS ultra-violente avait massacré plusieurs centaines de civils. Il questionne aussi la légitimité de la violence en tant de guerre et la façon dont elle est contagieuse, de bourreaux en victimes, de vengeurs en victimes. Le Vieux Fusil est un film immense, car il va droit au but, il est âpre et difficile, et ne se garde pas de ne pas laisser son spectateur indemne. Il questionne enfin notre lien à la violence, ce qui pourrait nous pousser aux actes les plus extrêmes.