Lorsque sort en salles "Le voyageur de la toussaint", il existe déjà une dizaine d'adaptations ciné de Georges Simenon ("La tête d'un homme", "Les inconnus dans la maison"...). L'écrivain liégeois a connu très tôt les honneurs du cinéma français, mais le film de Louis Daquin apporte un degré d'ambition supplémentaire.
Très fidèle au roman de l'auteur belge, "Le voyageur de la toussaint" reproduit en effet l'intégralité du microcosme décrit dans le roman, avec une reconstitution en studio des rues de La Rochelle et un certain nombre de prises de vue réelles de la ville (du port en particulier).
Le réalisateur parvient à installer une véritable atmosphère, entre les quais brumeux où se découpent l'ombre des navires, les petits bars malfamés du port, et les rues commerçantes du centre-ville.
D'autre part, le nombre de personnages présents dans le récit s'avère considérable, et les liens qui les unissent sont complexes, surtout dans un film dont la durée excède à peine une heure et demie.
Pourtant, affecté au scénario et aux dialogues, l'écrivain Marcel Aymé effectue un travail considérable, parvenant à rendre l'ensemble intelligible sans trahir le texte de Simenon.
On suit donc l'arrivée à La Rochelle d'un jeune orphelin naïf, qui hérite de son oncle tout juste décédé, un baron local autodidacte, à certaines conditions. Le jeune héritier candide et scrupuleux sera vite confronté à la puissance du "syndicat" local, une oligarchie soucieuse de conserver ses privilèges.
En milieu de bobine, cette fresque provinciale prend une tournure policière, avec la découverte de plusieurs crimes et la recherche des coupables, venant habilement relancer l'intérêt du récit.
Malgré quelques idées artificielles (le coffre et sa combinaison secrète), le roman de Simenon offre une structure solide sur laquelle se reposent intelligemment Aymé et Daquin, qui ont simplement le tort d'affadir le dénouement avec un happy end un peu différent du bouquin.
Un pêché véniel qu'on leur pardonnera volontiers, tant "Le voyageur de la Toussaint" est un film réussi, souvent sombre et audacieux, l'un des meilleurs tournés sous l'Occupation - même s'il faut admettre que certains aspects ont forcément vieilli (les comportements amoureux, par exemple).
Un dernier mot sur le riche casting, particulièrement équilibré, puisque les auteurs parviennent à donner une place équivalente à chacun, tant aux glorieux anciens (Jules Berry, Louis Seigner, Gabrielle Dorziat, Guillaume de Sax) qu'à la jeune génération (Jean Desailly, Serge Reggiani, Simone Valère).
Avec une mention pour la belle Assia Norris, cette actrice italienne d'origine russe - au français parfait - tournant ici son unique rôle pour le cinéma hexagonal.