‘Leïla et ses frères’ est un film remarquable de bout en bout qui confirme, faut-il le rappeler, la grande qualité et la richesse du cinéma iranien. A la fois proche d’un Asghar Farhadi dans la peinture sociale qu’il dresse de l’Iran et à la fois éloigné du cinéma de son compatriote dans son ampleur romanesque, Saeed Roustaee démontre avec brio qu’il est un grand cinéaste.
Leila a dédié toute sa vie à ses parents et ses quatre frères. Très touchée par une crise économique sans précédent, la famille croule sous les dettes et se déchire au fur et à mesure de leurs désillusions personnelles. Afin de les sortir de cette situation, Leila élabore un plan : acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères
‘Leïla et ses frères’ est un film complet, très riche, autant romanesque que parfaitement ancré dans la réalité économique de l’Iran contemporain. Le film est une fresque familiale qui n’est pas sans rappeler la saga des ‘Parrains’ de Coppola dans sa capacité à brosser le portrait d’un clan familial réuni par un patriarche. Les quatre frères gravitent autour de Leïla, l’ensemble des enfants ainsi que la mère gravitant autour du père de famille. Ce qui frappe au sein de ce clan est la grande cassure entre les générations. Le père représente l’ancien monde, pétri de traditions et qui semble bloqué dans le passé, insensible à la modernité et préférant nettement prétendre à la plus haute responsabilité dans la tradition persane que de sauver financièrement sa famille. La mère semble enfermée dans sa cuisine et dans son rôle de maitresse de foyer. Quand au cinq enfants, ils tentent d’échapper à cet héritage lourd mais étant impossible de d’assumer financièrement indépendamment, ils se retrouvent coincés dans ce foyer étouffant.
Le film séduit également par la caractérisation des personnages. Ils sont finement croqués et sont d’une grandes complexité. Par exemple, chaque frère à son caractère (au sens où La Bruyère l’entendait). Il y a un frère roublard, un frère qui se laisse aller, un frère en retrait et un battant. Mais les quatres frères ont tous en communs d’être paumés, démunis et semblent incapables de rien sans leur sœur. La sœur et la mère ont en commun d’être deux femmes sacrificielles, pourtant elles se détestent, s’engueullent. La mère insulte sa fille violemment car contrairement à elle, sa fille à l’audace d’être une battante. Quant au père, il est tantôt d’un égocentrisme détestable, d’une méchanceté absolue et est tantôt capable de faire preuve d’une belle tendresse face au désespoir de ses enfants.
Une des grandes réussites du film est d’avoir su allier au romanesque une veine social. Déjà, le film est précisément ancré économiquement. Le film se déroule au moment où Donald Trump retire les Etats-Unis de l’accord du nucléaire iranien provoquant une inflation, et notamment du prix de l’or. On perçoit très bien l’appauvrissement de cette classe moyenne, réduit à nettoyer les toilettes de centres commerciaux ou à magouiller pour des sous.
Le précédent film de Saeed Roustaee ‘La loi de Téhéran’ frappait par la qualité de sa mise en scène. J’ai encore en tête une glaçante scène de mise à mort par pendaison. C’est encore le cas pour ‘Leïla et ses frères’. Le film s’ouvre sur trois séquences montées en parallèle : il y a le patriarche parti retrouver les notables pour qu’on l’élise parrain, il y a la fille qui se fait masser et il y a l’un des fils qui se fait licencier de son usine au cours d’une manifestation, violemment réprimée par la police. Une scène qui trouve un écho avec la révolte actuelle en Iran. Cette ouverture est brillante car elle annonce tout le film : le poids des traditions avec le père, le caractère sacrificiel de la fille et l’aspect social du film avec le fils.
Il faut également voir la scène de fête pour comprendre que Saeed Roustaee sait faire des films. Dans cette scène qui rappelle ‘Le Parrain’, il y a tout. Un mélange de faste et d’indécence. On y voit les jeux d’influences et les luttes en coulisse pour obtenir le pouvoir suprême de la tradition persane, c’est-à-dire le titre de Parrain, vous permettant d’être assis sur l’estrade en surplombant tout le monde. Les différences sociales y semblent écrasantes pour les fils, mis à l’écart comme les ratés du clan. Cette scène virtuose est à l’image du film, parfaite.