Quand les Studios Disney ne puisent pas dans les contes et légendes du monde, c’est l’adaptation de romans, ici l’œuvre éponyme de Dodie Smith, qui nourrit le catalogue d’imaginaire pour enfants de la firme animée. One Hundred and One Dalmatians narre une aventure animale au cours de laquelle l’amour filial d’un couple de chiens les emmène dans



une mission de sauvetage épique,



allégorie de la résistance française à l’occupation allemande, dans les nuits d’hiver glaciales d’une campagne anglaise hostile et désœuvrée.


Dans un Londres magnifique, Pongo décide de sortir son musicien de maître, Roger, et de le catapulter vers l’amour, victime toute trouvée en l’élégante propriétaire d’une femelle dalmatien. L’introduction ne s’embarrasse pas des détails de la romance et après un mariage express, Perdita, la femelle en question, attend sa première portée. Ce n’est pas la seule : une ancienne camarade de classe d’Anita, la fantasque et effroyable Cruella DeVil, fanatique de fourrures animales, espère bien s’approprier les pauvres chiots dans l’idée d’arborer de sublimes et originaux manteaux de peaux canines.


Si l’on retrouve la signature jazz des studios dès le générique d’ouverture qui joue malicieusement des tâches dalmatiennes sur la portée musicale, ici pas de temporisation en chanson : les rares airs entonnés par les humains de l’opus n’arrivent pas comme des parenthèses façon comédie musicale mais s’intègrent à la narration dans



la fluidité d’exposition de ces personnages.



Loin de cette insouciance légère d’après-guerre, le scénario revient justement, par le biais de l’avidité folle de Cruella, sur de sombres épisodes de cette Seconde Guerre Mondiale : comment ne pas voir un miroir d’Adolf Hitler dans cette vile femme qui a engagé deux brigands pour s’emparer d’une centaine de chiots afin de les ourdir et de les dépecer ? Expérience barbare sur le vivant, isolement dans une campagne reculée, loin des regards indiscrets de la foule, la seconde partie du métrage, tout en restant dans l’allégorie minimale pour ne pas aller trop loin dans l’effroi – c’est avant tout, comme tous les longs du studio à l’époque, un film destiné aux enfants – aborde



une noirceur de l’âme terrifiante.



Pongo et Perdita, pour sauver leur portée et les innombrables autres chiots concentrés dans le manoir, n’hésitent pas à entrer en clandestinité quand les recours humains officiels ont échoués :



Aboiements de nuit, le service est à l’écoute !


Les chiens de Londres et de la campagne britannique, maquis nocturne, communiquent en un morse fait de râles et de jappements pour diffuser l’information de l’enlèvement autant que pour organiser les recherches et accompagner les deux dalmatiens dans leur mission. Sous le radar des résignations humaines,



la gente canine organise la résistance



et coure par les chemins de traverse en prenant soin de bien effacer leurs traces.


L’animation semble prendre un tournant par rapport aux premières œuvres du maître fondateur. Ici le crayonné s’exprime, les courbes lisses du début autant que les couleurs vives disparaissent au profit d’une



urgence qui souligne le danger



et d’une atmosphère sombre et glaciale, de paysages enneigés qui se font obstacles et racontent alors la clandestinité indispensable au succès de l’entreprise de sauvetage. Wolfgang Reitherman rejoint ici, pour son premier long-métrage au sein des studios Disney, le duo Hamilton Luske et Clyde Geronimi qui ont déjà travaillé ensemble sur plusieurs classiques (Peter Pan, La Belle et le Clochard, entre autres) et au vu des styles graphiques de ces différents films, imprime apparemment son propre trait à l’ensemble de l’œuvre. Dans la première partie, et dès les premiers plans, il faut absolument souligner



l’impressionnant et méticuleux travail sur les décors



qui nous servent un cœur de Londres à la fois réaliste et stylisé avec justesse, quand la seconde partie explore l’immensité hostile d’une campagne où la tempête souffle neige et glace. Les mouvements de véhicules autant que les frétillements animaux séduisent par une vivacité tangible.
Bref, dans un style graphique qui évolue, cette nouvelle production Disney garde l’exigence primordiale du dessin et ajoute une urgence au trait pour



une animation impeccable, impressionnante.



One Hundred and One Dalmatians séduit par de nombreux aspects.
Loin d’être la production la plus bouleversante des studios de tonton Walt, le métrage s’inscrit dans les grandes lignes éditoriales de la maison : musique jazz et sombre effroi pour un scénario qui allège dans la simplicité les implications profondes du récit afin de rester accessible au cœur de cible enfantin. Mais le coup de maître du métrage, au-delà de la mignonnerie indéniable de ces chiots patauds et souriants, c’est bien Cruella DeVil, tyrannique mégère prête à sacrifier à l’horreur indicible une meute d’innocents pour son propre plaisir et sans aucun remord. Un écho de la résistance française dans la traversée du maquis, un autre de la libération des camps dans la mission de sauvetage clandestine, et toute l’atmosphère sombre d’un environnement hostile, One Hundred and One Dalmatians rappelle sans détour



de terribles et effroyables heures d’une histoire alors encore récente



dans un produit pourtant destiné à l’enfance : c’est bien du Disney, qui affirme que l’effroi est la meilleure voie pour communiquer et imprimer profondément les messages de bienveillance de ces sombres contes.

Créée

le 5 févr. 2017

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