En période de Noël, quoi de plus normal que de regarder une histoire se passant dans une étable (à l’est) de Bethléem !
Si ce n’est qu’il s’agit d’une histoire incroyable mais vraie, qui s’est déroulée sur quelques années à partir de l’an 1987 après JC, et qui met en lumière l’un des chapitres les plus étranges du conflit israélo-palestinien, du (dys)fonctionnement parfois incompréhensible des mécanismes d’occupation au Moyen-Orient.
«Nous avons commencé à travailler sur le film pendant le Printemps arabe », raconte en 2014 l’artiste visuel Amer Shomali. « Les gens qui manifestaient sur la place Tahrir m'ont dit qu'ils s'étaient inspirés de la première Intifada. J'ai alors réalisé que les Palestiniens avaient oublié leur propre histoire». Il s'est souvenu de l'affaire des vaches du village de ses parents, une bourgade de Cisjordanie de 12 000 âmes, chrétiennes à 80%.
Car non, tous les arabes ne sont pas musulmans - et en plus, certains arabes sont israéliens…
«Beaucoup de jeunes Palestiniens pensent qu'ils ont deux choix : accepter d'être une victime absolue ou rejoindre un groupe islamiste radical. Le film veut leur rappeler qu'il y a une troisième voie, la voie de la désobéissance civile», dit celui qui, au moment des évènements dépeints dans le documentaire, vivait dans un camp de réfugiés en Syrie.
Des images d’archives, des témoignages de protagonistes (20 ans plus tard), des scènes reconstituées, des dessins, animés ou non, des vaches en stop-motion (en noir et blanc), ces différents procédés se mélangent dans cette co-production canadienne et palestinienne.
On suit en parallèle l’aventure des vaches et celle des réfractaires à l’occupation israélienne. Les habitants ont tous participé au tournage, intervenant même pour faire coller le scénario aux situations telles qu’ils les ont vécues.
Tout commence avec l’achat on ne peut plus officiel auprès d’un kibboutz sympathisant de 18 vaches par des citoyens de Beit Sahour (où l’on trouve le puits de Jacob et la grotte des bergers, pour ceux ayant une culture religieuse). S'improvisant fermiers, des villageois apprennent ainsi à traire les vaches pour fournir du lait à leurs pairs et peuvent boycotter les produits d'une compagnie laitière israélienne.
La ferme est un succès, suscitant une forte demande locale de "lait Intifada".
Parallèlement, ils manifestent, s’organisant en comités de quartiers, refusant de payer les impôts, expérimentant la résistance passive collective.
Cependant, le sort des 18 vaches est devenu étroitement lié à celui des habitants de Beit Sahour et à leurs actes de désobéissance civile visant l'occupation israélienne. Le troupeau est déclaré "menace pour la sécurité nationale de l'État". Irritées, les autorités israéliennes se lancent aux trousses des vaches, obligeant les habitants à déployer leur inventivité pour les cacher.
Les vaches se solidarisent alors avec le village, car après tout, nos amies – principalement Rivka, Lola, Ruth et Goldie - n’ont pas demandé à choisir leur camp, elles veulent juste un peu de paix, un endroit abrité où dormir, de quoi manger… comme tout le monde.
D’où leur fuite de maisons privées en boucheries, de ville en campagne, épuisées, découragées, en une étrange équipée. En filigrane : le parcours d’un jeune combattant de l’Intifada, Anton, longtemps caché lui aussi, puis abattu…
L’un des meneurs dit ne rien regretter à part la mort d’un ami, même s'il y a eu du harcèlement, des convocations quotidiennes, des arrestations, des emprisonnements, de la torture, des victimes…
C’est plutôt une histoire fondamentalement humaine : celle d’un groupe d’hommes qui, avec les moyens du bord, vont découvrir par le fait même le sens profond des mots solidarité et courage. Ils auront pendant un temps l’impression de prendre en main une partie de leur destin, de partager valeurs humaines (et bovines ?), de croire que la non-violence peut être efficace.
«Même s'ils ont vécu des choses difficiles, beaucoup de gens de Beit Sahour se souviennent des années de la première Intifada comme des années les plus excitantes de leur vie. Mais les Israéliens savaient que les Palestiniens n'allaient pas résister à jamais. Malheureusement, l'élan de la population ne s'est pas traduit en processus politique. Au bout du compte, les accords d'Oslo leur ont été imposés par Yasser Arafat», dit le cinéaste montréalais Paul Cowan (dont les anglicistes remarqueront le nom).
«Je pense qu’une nation qui ne peut rire de ses drames ne pourra jamais les surmonter. Donc prenons acte du pétrin dans lequel nous nous trouvons et rions de nous-mêmes».
Ces habitants de Beit Sahour, hommes et femmes de tous âges, ont une capacité de réflexion, d’analyse, impressionnante. Des voix que l’on entend trop rarement s’exprimer.
Après les accords d’Oslo, considérés par eux comme une trahison, certains racontent être partis se réfugier dans le désert tellement ils en avaient assez d’entendre tous les abrutis tourner en rond des heures à klaxonner !
Il y a donc des moments où l’on rit de la façon qu’ils ont tous de se jouer de l’ennemi, et d’autres où l’on verse une larme face à la douleur d’une mère, humaine ou bovine…
On naît dans la douleur, on meurt parfois en donnant la vie, on donne le lait, puis on meurt quand on finit à la boucherie. On mènera les vaches restantes à l’abattoir (sauf un veau blanc qui parvient à s’évader), trahies, comme elles s’en plaignent, par les Israéliens et par les Palestiniens.
«La mort des vaches représente la fin de l'Intifada, mais la vache qui s'enfuit, elle, représente l'espoir qui sommeille dans le coeur de tous les Palestiniens», dit Amer Shomali.
Ce qu’il faudrait élever plutôt, aujourd’hui, quand on voit encore aux dernières actualités le développement continuel des colonies, ce sont des brouteurs de béton, des rongeurs de barbelés, des fouisseurs de tunnels, des parasites de points de contrôle…