La société de production Amblin Entertainment crée par Steven Spielberg, Kathleen Kennedy et Frank Marshall en 1981 représente pour beaucoup de spectateurs bien plus qu'une simple compagnie du cinéma hollywoodien. Son logo iconique qui reprend une célèbre scène d’E.T. de Steven Spielberg augure souvent du meilleur quand il ouvre un film, la promesse d’un visionnage dépaysant, spectaculaire mais malgré tout humain, apte à faire rêver les plus jeunes et les plus grands. De grands succès comme E.T. l’Extraterreste de Steven Spielberg, les deux Gremlins de Joe Dante, les Goonies de Richard Donner, les Retour vers le futur de Robert Zemeckis ou les Men in Black de Barry Sonnenfeld et bien d’autres ont tant amusé les spectateurs, même si bien d’autres ont été oubliés depuis.
Dans le domaine du marché du long métrage d’animation, revitalisé par le nouvel âge d’or de Disney des années 1980 et 1990, la société s’est alliée à Don Bluth, le grand monsieur de ces années, avec qui elle a signé Fievel et le nouveau monde en 1986 et Le Petit Dinosaure et la Vallée des merveilles en 1988.
Mais à la suite de différends créatifs entre Steven Spielberg et Don Bluth, ce dernier part vers d’autres horizons. Au sein d’Amblin Entertainment se crée Amblimation, filiale destinée à la production d’animations, qui regroupe différents créatifs qui avaient travaillé avec Don Bluth. La filiale, crée en 1989, ferma ses portes en 1997 après la sortie de trois longs-métrages. Si son premier et son dernier sont assez connus, avec la célèbre souris Fievel, mascotte du logo de la compagnie, et le chien Balto, le deuxième l’est beaucoup moins.
Les Quatre Dinosaures et le Cirque magique, sorti en 1993, est réalisé par Phil Nibbelink, Dick Zondag, Ralph Zondag et Simon Wells, des habitués des films de Don Bluth. A sa sortie il bénéficie d’une importante campagne de promotion, le film a droit à son ballon géant lors de la célèbre parade Macy's Thanksgiving Day Parade de New-York (présente dans le métrage), il y a des produits dérivés, des jouets, des jeux vidéo, mais non, ça ne prend pas, le film fait un décevant score au box-office. Le Petit Dinosaure et la Vallée des merveilles quelques années auparavant avait pourtant été un beau succès.1993 devait être l’année des dinosaures, quelques mois avant Jurassic Park avait tout dévoré, et le long-métrage fait même quelques clins d’oeil au film dont une apparition de son directeur Steven Spielberg. Les deux films représentent d'ailleurs les deux faces d'une même pièce, à bien des égards.
En France, le film ne fut édité en DVD qu’en 2019 grâce à l’éditeur Les Films du Paradoxe, avec (et seulement) son doublage français (composé du gratin de l’époque, Benoît Allemane, Jackie Berger, Pascal Renwick, Roger Carel, etc.) sans bonus, et une image qui aurait mérité une meilleure redéfinition. C’est mieux que rien.
Librement adapté d’un roman pour la jeunesse, Les Quatre Dinosaures et le Cirque magique va rechercher l’émerveillement devant l’arrivée de dinosaures dans le monde moderne. Un émerveillement juvénile et mal compris par les adultes, une des marques de fabrique des productions Amblin qui voient en ces grosses bêtes des menaces. Rex le T-Rex placide, Elsa la ptérodactyle plus frivole, Big le tricératops vorace et Bang, dinosaure à bec de canard un peu benêt, ont été le sujet d’expériences bienveillantes par le professeur Bon Oeil, extirpés de la préhistoire pour aller apporter de la joie aux enfants de 1993. Ils se lieront d’amitié avec deux enfants, Louis, pré-ado so 90’s avec sa casquette et Cecilia, petite fille délaissée par ses parents.
Il est dommage que l’histoire soit un peu mal ficelée, parfois décousue, difficilement concevable. Le film est court, en enlevant le générique de début et de fin il passe sous la barre de l’heure symbolique. Il n’offre donc pas de temps pour développer ses personnages et affiner les relations entre eux, tous réduits à quelques traits de caractère. Tout ce petit monde est donc assez équivoque, même s’ils se présentent assez sympathiques, toujours d’un bon caractère. Rex domine la distribution, pas seulement pour sa carrure, mais pour son bon caractère, simple et amical.
Mais il faut être honnête, la simplicité de l’ensemble le destine avant tout à un public jeune. Ses personnages juvéniles qui vivent l’aventure sans faire grand cas de leurs parents, surtout pour Louis, agaceront probablement les parents, moins les enfants. C’est à eux qu’est destiné le message du film, de la bienveillance face à la nouveauté. Les adultes du film sont clairement des craintifs, des inquiets, aux plaisirs mesquins et pervers. Le cirque dont il est question dans le titre est un cirque pour faire peur, angoissant, ce que ne comprennent pas les enfants. C’est dans ces lieux que sera commis le méfait ultime, un pacte faustien entre son propriétaire et les dinosaures qui va les rabaisser.
Ce n’est pas forcément d’une grande subtilité, entre le cirque sombre et inquiétant et la parade festive solaire et les comportements des enfants et des adultes dans l’un et l’autre. Ce n’est même pas très bien écrit. Mais le film profite d’un autre avantage pour conquérir le coeur des enfants, et peut-être même aussi celui des adultes, c’est sa réalisation.
Les Quatre Dinosaures et le Cirque magique est une prouesse technique, et en tout cas elle se présente comme tel. Le film cherche à impressionner, constamment. Certains arrière-plans peints, notamment ceux naturels du début sont colorés et détaillés, parfois au point de jurer légèrement avec les personnages. Les dinosaures dans des designs assez ronds, assez classiques, sont très bien animés, tout comme les personnages. Mais il y a aussi une mise en scène toujours mouvante, avec un point de vue souvent mobile, se déplaçant entre les décors ou les personnages et même des perspectives différents. Ce qui est très facile à faire avec les effets spéciaux numériques de maintenant, beaucoup moins dans les années 1990 et ses animations à l’ancienne, à la main.
Certaines scènes sont vraiment impressionnantes, à l’image de ce vol mouvementé à dos de reptile entre les immeubles de New-York, qui donne le frisson, ou de cette parade new-yorkaise avec une foule nombreuse et tous ses cotillons et ballons qui volettent sur l’écran. C’est une prouesse technique et visuelle, d’autant que le film prend le pari de quelques scènes plus esthétiques, comme cette côte urbaine sous le brouillard rose ou les jeux d’ombres.
Les Quatre Dinosaures et le Cirque magique est donc une démonstration de force, un film qui devait démontrer que Disney aurait pu avoir un sérieux concurrent dans les années 1990. Mais le Disney de cette époque avait pour lui de belles et grandes histoires, dont la simplicité avait été polie, alors qu’elle ici elle semble maladroite, offrant des personnages sans grands enjeux, aux intentions pas forcément claires. Avec le recul d’un adulte, c’est un petit gâchis, il n'en reste que le charme de cette animation à l'ancienne, mais ses défauts s’effaceront un peu pour des enfants, à qui le film est entièrement et seulement destiné.