Énième film culte visionné sur le tard, Goodfellas opère un contraste amusant : après m'être référé des années durant à son affiche classieuse, la patte Scorcese accouche en réalité d'une œuvre délurée au rythme vivace, dont l'intrigue colle aux basques de petits mafieux gentiment fous, pantins marquants (à leur manière) d'un récit (limite) documentaliste.
Une petite surprise toute relative lorsque l'on remet en perspective les codes propres à Scorcese, dont l'intérêt maintes fois renouvelé pour les vauriens de tout poil compose en grande partie son identité. Cette adaptation de Wiseguy se démarque pour sa part au travers d'un souci du détail impressionnant, les travaux originaux de Nicholas Pileggi servant en ce sens une grande fresque mafieuse immersive : le point de vue au plus près de l'action de Henry Hill sert alors de point d'ancrage, un guide ambivalent dont le film dépeint une vie mouvementée, passionnante et bien souvent répréhensible in fine.
Pétri d'une myriade de personnages sonnant "authentiques", le tour de force de Goodfellas tient bien en la crédibilité du tout, de l'ambiance parfaitement retranscrite à ces mêmes figures hautes en couleurs et, pour beaucoup, fortes en gueule ; le long-métrage transpire ainsi de bout en bout une multitude de tonalités, suscitant chez le spectateur des sentiments contradictoires : émoi et détachement, empathie et dégoût, hilarité et effroi etc.
Car là est également la réussite du long-métrage, celui-ci outrepassant tout carcan manichéen au profit d'une galerie de protagonistes battant le chaud et le froid : Henry Hill est sur ce point symbolique, la sympathie ressentie à l'égard de ce petit gars débrouillard, aux motivations aux antipodes de tout archétype (une vocation mafieuse, ça ne s'invente pas), finissant par jurer avec son développement, celui-ci aboutissant en ce sens à une personnalité en tous points détestables.
Tel un poisson dans l'eau, Ray Liotta tient ce rôle d'ordure imbuvable à la perfection, et sert de tremplin à un sentiment paradoxal : en effet, la richesse du personnage de Hill est comme intimement liée à un cruel manque de relief, ce dernier se laissant porter au gré des évènements sans jamais vraiment s'imposer à l'écran. D'une certaine manière, ce rôle sous-jacent de point d'ancrage dessert en partie cette figure d'abord intrigante, mais contribue au contraire à mettre en lumière ses acolytes.
On retient ainsi davantage les présences de Jimmy / Robert De Niro (sa place au centre de l'affiche abonde en ce sens) et Tommy / Joe Pesci : eux-mêmes nécessaires et indispensables à l'approfondissement de tout un univers mafieux, leurs coups d'éclats respectifs (Pesci est pareil à de la dynamite) dépeignent des figures beaucoup plus tranchées que l'ami Hill, au point de le supplanter et de le reléguer au second plan. Le film ne cherchera pourtant aucunement à les rendre plus attachants, leurs natures sans limites, si ce n'est destructrices, illustrant fort bien l'envers sombre à ce semblant de bonhomie ambiante (Sorvino est éloquent en la matière).
Goodfellas n'est pas sans intérêt sur ce dernier point, tout droit issue d'un cadre prétendument "familial" : le devenir de Hill et consorts est d'ailleurs d'autant plus ironique que l'on assiste au délitement d'une véritable mascarade, les amis d'hier se muant en ennemis aujourd'hui, quand ils ne rompent pas les ponts (ce qui est infiniment plus cruel). Le fil rouge du long-métrage épousant la courbe "ascensionnelle" de Hill, conclue par une chute magistrale (le retour au quotidien des ploucs est une savante conclusion), on en tire un soupçon de message : la vie "hors de la loi" est certes exaltante, mais tout ne dure qu'un temps, au point de paraître (presque) éphémère (une sensation frappante).
Se conjuguant à la mise en scène probante de Scorcese, ponctuée d'une narration en voix off pour ainsi dire idéale, difficile de ne pas reconnaître à Goodfellas une qualité d'écriture de premier ordre ; en dépit du peu d'empathie (globalement) consacrée à ses protagonistes, ce manège bordélique retient de bout en bout notre attention et mérite sa renommée, qui sous ses dehors "sans conséquences" revêt une gravité peu à peu prégnante.
Reste le personnage de Karen (campée par l'excellente Lorraine Bracco), une sacrée réussite dans son genre : d'abord au regard de son apport à la narration du long-métrage (ce dédoublement est aussi surprenant qu'efficace), puis à la mesure de son implication dans le récit, celle-ci concourant au glissement vers le tangible d'une atmosphère d'abord illusoire, aux faux-semblants joyeux de la première heure succédant une réalité bien moins jouasse qu'il n'y paraissait.
Si sa découverte ne tient pas de la révélation, la faute à un visionnage sur le tard occulté par des productions plus récentes (notamment du même Scorcese), Goodfellas mérite donc sans hésitation son statut de référence culte, et pas seulement pour son casting sur mesure.