If we make it we can all sit back and laugh. But I fear tomorrow I'll be crying...


Lorsque l'enfant était enfant, des pommes et du pain lui suffisaient comme nourriture. Et c'est toujours ainsi... Lorsque l'enfant était enfant, les baies tombaient dans sa main comme seules tombent les baies. Et c'est toujours ainsi... Les noix fraîches lui irritaient la langue. Et c'est toujours ainsi... Au sommet de chaque montagne, il avait le désir d'une montagne encore plus haute, et dans chaque ville, le désir d'une ville encore plus grande. Et c'est toujours ainsi... Au sommet de l'arbre, il tendait les main vers les cerises avec la même volupté qu'aujourd'hui. Un inconnu l'intimidait. Et c'est toujours ainsi... Il attendait la première neige et toujours il l'attendra. Lorsque l'enfant était enfant, il a lancé un bâton contre un arbre comme un javelot. Et il vibre toujours...



Au cœur d'un Berlin froid et austère, deux anges, Damiel et Cassiel, observent les vivants et les passions. L'un comme l'autre arpentent la ville et veillent, veillent constamment sur l'Homme. Un rien les fascine, un petit moment, une insolite réaction, une curiosité humaine, un moment de joie fugace, tout ce qui échappe à l'immortalité. Une femme laissant la pluie couler sur elle malgré la pluie battante, une aveugle cherchant sa montre, d'infimes détails d'une insignifiance absolue, des détails qui n'appartiennent qu'à ceux qui les réalisent, et pourtant, c'est sous l'aile bienveillante des anges qu'une beauté rare ne se meure point. Il y aura quelqu'un pour se souvenir qu'un jour, un humain du commun se sentit merveilleusement bien ou qu'un autre se tua sans un son, sans un regret.


Damiel aimerait connaître toutes ces choses qu'il ne fait qu'observer comme un fantôme. Le monde qu'il côtoie, cet entre-deux fait de noir et de blanc ne peut lui convenir réellement. Voir le présent comme le résultat d'un avant et le produit d'un devenir, voilà une idée sans saveur. Lui veut vivre maintenant, avoir sa part de mortalité. Il veut souffrir, ressentir, ne serait-ce que de petites choses du quotidien pour se sentir exister. Le personnage est particulièrement touchant, lui qui aimerait être reconnu en tant que personne, ce qui au fond est un sentiment très humain. L'autre, Cassiel y pense également mais néanmoins maintient qu'il faut laisser faire et non vivre.



Nous devons éternellement rester grave pour être des sauvages 



Si peu de dialogues sont présents dans le film, toute place est laissée aux innombrables monologues que des musiques lancinantes viennent accompagner dans un élan qu'on pourrait croire uniquement sujet à la dépression. Pareil aux anges, nous sommes spectateurs de ce théâtre humain, brillamment métaphorisé par le dialogue entre Cassiel et Damiel chez un concessionnaire automobile aux allures de cinéma de plein air d'où ils observent par une vitrine, un écran, la population. Nous regardons alors cette scène où la vie s'agite, stagne, s'achève, ne fait que débuter. Nous la suivons du même regard perçant que les anges, écoutant les pensées de tout un chacun. Il ne s'agira pas de pensées ordonnées mais des idées, des réflexions aussi profondes que confuses, s'épanchant dans un flot philosophique abscons qu'une infinie tristesse ne quitte jamais.



Je regarde devant moi et le monde se lève devant mes yeux, me monte au cœur... Enfant, j'avais le désir de vivre sur une île. Une femme seule, puissamment seule. Oui c'est ça. Une vide incompatible, une vie... la peur, la peur, la peur... Le regard d'un petit animal perdu au coin d'un bois. Qui es tu ? Je ne sais plus. Mais je sais, je ne deviendrai pas trapéziste. Les décisions imprévues auxquelles on croit. Ne pas pleurer, pas envie de pleurer, mais alors pas envie du tout. Ça arrive, c'est comme ça. Ça ne va pas toujours comme on veut. Le vide...le vide...



Les Ailes du Désir est une parfaite fenêtre sur l'humanité, comme toute bonne œuvre parlant de l'Homme évidemment, mais ici, notre rapport à l'homme est davantage intime, profond. Nous ne cherchons pas à comprendre tout ce qu'ils pensent, toutes les litanies n'ont pas à être comprises, elles représentent cette activité de pensée, cette morne mélancolie qui nous assaille. Nous ne connaissons pas ces gens, les anges ne les connaissent pas plus. L'important n'est pas là. Nous ressentons seulement, tout comme ils ressentent seulement. Les anges ne sont pas là pour sauver les Hommes mais pour les accompagner d'un regard bienveillant et d'une main sur l'épaule.


Une intense dépression traverse ce film, il en rebutera plus d'un, c'est forcé. Nous ne sommes pour autant pas abattu ni larmoyant en le contemplant, les Hommes méritent bien mieux que notre pitié. Nous suivons nous aussi avec bienveillance cette fête de l'insignifiance, un sourire s'esquissant presque sur notre visage. Ce n'est pas un sourire de joie mais un sourire triste, lointain. Il n'y a pourtant pas que cette dépression qui caractérise les Ailes du Désir ; le film est beau et sincère, mettant l'accent sur l'illusoire, le détail qui rend magnifique le vivant. Il est d'une douce et mélancolique magnificence qui n'a d'espérance que de trouver son désir, enfin.

Fosca
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes En 2016, je vais sucer la moelle du cinéma et Les meilleurs films de 1987

Créée

le 15 sept. 2016

Critique lue 668 fois

18 j'aime

4 commentaires

Fosca

Écrit par

Critique lue 668 fois

18
4

D'autres avis sur Les Ailes du désir

Les Ailes du désir
Rawi
9

Critique de Les Ailes du désir par Rawi

Dans l'Allemagne encore divisée, les anges Damiel et Cassiel sont occupés à survoler le ciel de Berlin afin de recueillir les pensées des simples mortels qu'ils croisent. Ils ne font que les...

Par

le 18 févr. 2014

76 j'aime

9

Les Ailes du désir
Ticket_007
9

Envolées en "eaux profondes" du Moi

Attention, chef-d'oeuvre ! Attention, danger ! Parce que "Les ailes du désir" est un spectacle anti-spectaculaire au possible, pour approcher cette vérité inconfortable : vivre en le sachant. On sort...

le 16 juin 2016

40 j'aime

22

Les Ailes du désir
Sergent_Pepper
8

Berlin l’enchanteur

La poésie si singulière du cinéma de Wenders avait jusqu’alors tenu à un état de fait, celui d’une errance ou d’une stagnation au cours de laquelle émergent les réflexions ou sensations que le temps...

le 16 déc. 2020

40 j'aime

Du même critique

Juste la fin du monde
Fosca
8

Natural Blues

Bien malin celui qui parvient à noter sereinement ce film. Personnellement il ne m'est guère aisé de le glisser au sein d'une échelle de valeur. Dans tous les cas, une note ne pourra s'avérer...

le 22 sept. 2016

193 j'aime

13

Grave
Fosca
8

Deux sœurs pour un doigt

Bien que préparé à recevoir ma dose de barbaque dans le gosier sans passer par la case déglutition, je ne peux qu'être dans un tel état de dégoût et d'excitation à la fin de ce film qu'il me sera...

le 21 févr. 2017

135 j'aime

23

Mother!
Fosca
8

L'Antre de la Folie

Au commencement... Comment commencer à parler de ce film sans en révéler toute l'essence ? C'est bel et bien impossible. Le nouveau venu de chez Aronofsky n'est pas une œuvre dont nous pouvons parler...

le 8 sept. 2017

84 j'aime

18