C'est le titre original qui me semble apporter une clé de compréhension au film que n'apportent pas les titres anglais ou français (Wings of desire ou Ailes du désir).
J'avais été littéralement bouleversé par "Paris Texas" à sa sortie en 1984. Trois ans plus tard, il allait de soi que je devais voir les "Ailes du désir". Ma première réaction devant le film a été très curieuse. D'un côté, un intérêt pour la ligne directrice du film qui se déroule dans une ville de Berlin partagée en deux où les gens tentent de vivre en continuant de côtoyer les traces de la guerre. De l'autre, une réticence comme chaque fois que dans un film ou un livre, j'ai la désagréable impression qu'on me balade un peu entre les allusions philosophico-littéraires que je crois deviner sans pour autant en apprécier le fond.
Et pourtant, dès le premier visionnage, j'ai aimé l'idée de ces deux anges, Damiel et Cassiel, bienveillants, qui passent leur temps à observer les berlinois et à pénétrer leurs pensées intimes ou secrètes. Ils sont invisibles (sauf de la part des enfants) et ne servent à rien sinon à compatir aux tracas des humains, à se désoler de leurs difficultés à communiquer entre eux et de leur manque de chaleur en général. Sont-ils prisonniers de la ville de Berlin, sont-ils des âmes en peine, faut-il les rattacher à la guerre et à ses atrocités ? Ça, on ne le sait pas. En revanche des discussions entre les deux anges, je déduis que leur statut immatériel présente l'avantage d'être immortel. Alors que Cassiel s'accommode finalement assez bien de cet état, Damiel s'intéresse à d'autres aspects dont il ne peut profiter, qui vont de choses triviales comme de pouvoir ressentir le poids de l'existence (métaphore avec l'objet qu'il soupèse sans en apprécier le poids) à des choses plus profondes comme l'émotion, l'amour, … En bref, Damiel s'emmerde dans son job contemplatif et inutile, appelé à durer éternellement. Alors que les humains, mortels, certes, ont de belles occasions de vivre intensément leurs vies. Notamment, cette belle acrobate qui, bien que mortelle, tutoie le monde des anges lorsqu'elle est sur son trapèze … Et puis, elle semble si seule alors qu'elle est si pleine de vie.
J'aime bien cette idée – peut-on dire humaniste ? – où l'ange préfère abandonner un monde désincarné et morne pour vivre une vraie vie courte mais autrement plus excitante.
Pour m'amuser un peu et m'autoriser une petite digression, je poursuis et retrouve ces réflexions sur l'Au-delà où certains "Paradis" me semblent si peu enviables (passer l'éternité du temps à prier, chez les chrétiens) alors que d'autres (les jardins merveilleux où coule le miel, tandis que les houris, mmm …) sont plus attractifs mais ne sont rien par rapport aux si nombreux plaisirs qu'on peut trouver en Enfer. C'est-à-dire sur notre bonne vieille Terre.
Ce qui nous ramène aux "Ailes du désir".
Disons aussi que le film dégage une esthétique certaine. D'abord, l'utilisation du noir et blanc, froid et impersonnel, du monde des anges aux chaudes couleurs quand on a la chance d'approcher la vie sur Terre. Le directeur de la photographie est Henri Alekan, dont le nom correspond au cirque qui s'est installé à Berlin pour apporter une part de rêve aux enfants … et à Damiel.
Certains clins d'œil sont intéressants dans le film et appellent à une introspection de Wim Wenders dont je ne doute pas qu'elle est en filigrane derrière sa vie. En effet, ce retour sur lui-même prend l'aspect de Peter Falk, dans son propre rôle, venu tourner à Berlin un film sur la guerre. Mais, le même Peter Falk, juif, se veut à la recherche d'une grand-mère disparue et se trouve aussi être un ange qui a préféré la vie sur Terre.
Reste à parler du casting avec un Bruno Ganz dans son personnage très réussi de Damiel. Son sourire bienveillant qui déclenche automatiquement le sourire et l'attention des enfants.
Et puis Solveig Dommartin que je n'ai croisée que dans ce film et qui est morte très jeune à 45 ans. J'ai beaucoup apprécié le personnage, dans ses prestations de trapéziste bien sûr, mais aussi dans son comportement de femme solitaire.
A la marge, citons aussi cet étrange phénomène du rock punk, Nick Cave, qu'on voit, ici, à deux reprises en concert auquel je lui trouve de véritables accents de blues déchirant … Au moment du tournage des "Ailes du désir, Nick Cave était précisément installé à Berlin-Ouest.
La note est difficile à déterminer car j'aime bien ce film très esthétique de Wim Wenders dans lequel je ne m'ennuie pas du tout. Si je me suis complu à en faire une interprétation qui m'arrange sur les points qui m'ont intéressé, je dois avouer que bien des choses me paraissent quand même très obscures comme le personnage d'Homère qui me plonge dans un océan de perplexité …