Les Amants Diaboliques reste un film culte pour plusieurs raisons. C'est d'abord le premier long-métrage de Luchino Visconti, brillant assistant de Jean Renoir avant que n'éclate la Seconde Guerre mondiale. C'est également l'œuvre fondatrice du mouvement neorealismo qui inondera les écrans des salles italiennes jusqu'en 1955. Et c'est aussi un film qui fut voué à la destruction par le parti fasciste de Mussolini et qui fut heureusement sauvé par Visconti qui en sauvegarda un seul et unique exemplaire.

En effet, cette adaptation "pirate" du célèbre roman américain Le Facteur Sonne Toujours Deux Fois tranche radicalement avec le cinéma aussi futile que léger imposé par le régime mussolinien. Visconti introduit dans la dynamique de son récit des thèmes tabous comme l'adultère, le crime passionnel, le chômage, la misère, le climat policier qui règne dans le pays. Il évoque même la prostitution occasionnelle des femmes sans ressources et l'homosexualité latente qui caractérise la relation entre Gino et l'Espagnol, deux des principaux protagonistes. Des interdits qui attisent bien évidemment les foudres d'un gouvernement prônant l'intolérance la plus totale et la politique ultra réactionnaire.

1943, en plein cœur du Nord de l'Italie. Gino Costa, vagabond au chômage, fait une halte dans une auberge géré par le couple Bragana, Giuseppe et Giovanna. En échange de menus travaux, les Bragana acceptent de loger et de nourrir Gino durant quelques jours. Ce dernier et Giovanna s'éprennent alors l'un de l'autre, deviennent amants et décident d'éliminer le mari gênant…

Doté d'un très maigre budget mais d'une remarquable équipe technique, Les Amants Diaboliques a certainement dû être un véritable choc artistique pour ses spectateurs en 1943. Visconti, techniquement influencé par la maestria de Renoir, s'accommode aisément au peu de moyen qu'il possède et réinvente littéralement le cinéma de la manière la plus réaliste qui soit tout en magnifiant la beauté physique (celle de Massimo Girotti en tête) de ses principaux personnages par des contrastes inédits où le noir et le blanc n'ont jamais été aussi sublimes depuis l’expressionnisme allemand. De par son excellent casting et sa réalisation plus que créative, l'œuvre aurait pu rester immense si Visconti avait su conserver un rythme métronomique. Tâtonnant parfois, comme la plupart des cinéastes débutants, certaines longueurs auraient pu être évitées avec plus d'expérience et alourdissent de pertinents thèmes qui n'en demandaient pas tant. Des bémols qui vieillissent considérablement un métrage de qualité, telle la vieille photo jaunie d'un joli paysage.

L'œuvre reste néanmoins mythique et suggère un érotisme aussi torride que celui, encore plus osé, qui fut soumis entre Fay Wray et son gorille géant dans King Kong. La Belle et la Bête qu'incarnent Clara Calamai et Juan de Landa se métamorphosent alors en Belle et le Clochard avec l'intrusion de Massimo Girotti, créant ainsi l'une des plus malsaines histoires d'amour jamais portées à l'écran. Culte, on vous dit.

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le 2 mai 2024

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