Dès les premiers plans, Curtiz montre son sens de la mise en scène, avec cet excellent panoramique présentant spatialement, socialement et métaphoriquement le film : la misère d’un quartier populaire habités par ces deux « anges aux figures sales », descendant de leur hauteur, déchus par la faute. Or, rédemption il y aura pour l’un, condamnation pour l’autre.
L’application du Code Hays dès 1934, régulant l’amoralité des productions cinématographiques d’alors, à une époque où le film de gangsters fait fureur (Scarface de H. Hawks, L’ennemi public de W. Wellman), explique cette séparation des destins des deux amis d’enfance, les protagonistes, et la radicale opposition morale de leur futur : l’un deviendra curé, l’autre gangster – opposition machiavélique assez simpliste mais permettant à Curtiz de réaliser un film de gangsters mâtiné de morale – ce qui conviendra aux autorités.
La tâche semble a priori assez ardue ; néanmoins Curtiz parvient à trouver un discours plutôt cohérent, quoique s’embrouillant un peu entre d’un côté le clair éloge du bandit, adulé par les gamins, à l’aura transcendant les frontières du bien et du mal, maître du jeu grâce à une ruse affinée, un impressionnant jeu de mains et un pistolet qui ne faillit pas, et de l’autre côté ce prêtre sans poigne (excepté ce merveilleux coup en pleine figure), ne convainquant guère que les plus soumis, n’attirant l’estime de personne et au discours aussi insipide que le pain azyme.
En fait, c’est à partir du moment où Rocky franchit la ligne de l’acceptable, lorsqu’il distribue de l’argent à la nouvelle génération d’anges (déchus) aux figures sales, vivant symboliquement dans les caves, sans le moindre sou ni éducation, le visage invariablement souillé, anges introduits par un panoramique similaire à celui de la scène d’ouverture, Curtiz traduisant ainsi l’éternelle répétition comme dirait Schopenhauer ou la reproduction des hiérarchies sociales comme dirait Bourdieu, c’est donc à partir de ce moment-clé que Rocky bascule : avant ange du bien, pédagogue appliquant les méthodes de la rue pour soigner le mal par le mal, puis ensuite mauvais exemple, incitant sans s'en rendre compte au Mal. Dès lors, le public ne le cautionne plus ; Jerry le prêtre a le champ libre et l’aval du spectateur.
Avec des scènes géniales, comme celle du match de basket, où Rocky répartit les coups comme le Christ le pain, celle du meurtre des associés (avec un Bogart, pas encore star, presque anecdotique ici) ou encore celle de la fuite de Rocky dont le pistolet ne tremble jamais, avec un scénario solide avançant, sans jamais tomber, comme un funambule sur des pôles contraires, une très belle photo illustrant la plongée sociologique dans cette jeunesse crasseuse à la langue bien populaire, et enfin avec un énorme James Cagney, Les anges aux figures sales est un film remarquable, toujours aussi actuel (les gars de cité, les éducateurs sociaux à l’attitude parfois équivoque, la figure religieuse désormais musulmane qui tente de remettre sur le « bon chemin » les âmes égarées), illustrant bien les conditionnements politiques pesant alors sur l’industrie cinématographique et démontrant la créativité dont on peut être capable sous la contrainte.