Jalouse
Comme sur son précédent film, le pertinent "Maman a tort", le réalisateur Marc Fitoussi se plante sur la durée de son métrage, trop long et souffrant par conséquent d'un rythme languissant. Entre...
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le 30 sept. 2020
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Les plus vieux et les plus cultivés d'entre nous se souviendront d'une époque - les années 70, à la louche - où un Claude Chabrol en rupture de ban de la Nouvelle Vague s'attaquait avec une méchanceté aussi noire que rigolarde aux vices de la (grande ou petite) bourgeoisie française : on lui doit une succession de films qui, s'ils n'étaient pas tous des chefs d'œuvre (comme "la Cérémonie", film plus tardif et l'un de ses derniers règlements de compte personnels avec les bourgeois), ont dignement représenté l'abjection d'une société confite dans sa suffisance, son mépris et son hypocrisie. Avec des pointures comme Michel Piccoli, Michel Bouquet, Stéphane Audran, la dégueulasserie suintait grave. Le sexe adultérin et pas très joyeux finissait régulièrement par se diluer dans le meurtre, ce qui permettait à tous les bas instincts de ce joli monde en putréfaction de se libérer. La haine de Chabrol se déversait là aussi, et transformait ces films patelins en brûlots politiques dissimulés derrière des facéties de cancre bon-vivant... Et puis Chabrol a arrêté, il est même mort, et personne dans le cinéma français n'est plus allé se frotter à ce genre de choses, surtout quand l'opinion publique clamait qu'elle en avait assez de voir des films qui parlait d'adultère en milieu économique favorisé.
Tout ça pour dire qu'on accueille avec bienveillance la tentative de Marc Fitoussi d'écrire et de réaliser avec "les Apparences" un néo-thriller-classique reprenant un sujet et une démarche similaires. On regrette évidemment le choix d'un Benjamin Biolay, individu sympathique mais acteur limité (même s'il s'en tire plutôt bien ici en salopard arrogant, quoi que ce soit que ça veuille dire sur lui...), et on applaudit à l'inverse le casting de la brillante Karin Viard, dont on sait qu'elle arrive toujours à tirer quelque chose des personnages, même les plus faibles, qu'on lui confie.
On comprend bien que Fitoussi a voulu sortir des "rails chabroliens" en allant transposer sa perverse histoire de sexe et de vengeance dans le délicieux milieu des Français "expats", microcosme de prétentieux et de parvenus racistes, méprisant souvent le pays où ils sévissent (ici l'allemand est une langue laide, les Autrichiens n'ont pas de bonne viande ni de bons fromages, les bonnes polonaises ne sont vraiment pas fiables, etc. etc.), en effet bien révoltants. On sourit pas mal devant cette peinture bien enlevée, mais on se demande quand même si cela n'enlève pas de la pertinence à cet assaut contre ces parvenus de se limiter ainsi à une toute petite "classe sociale": bref, pour l'aspect "politique" du film, on devra repasser, malheureusement.
Pour l'aspect thriller aussi, car il est difficile de complètement adhérer à cette accumulation de coïncidences qui finit par miner la crédibilité des nombreux rebondissements : Fitoussi aurait clairement mieux fait de simplifier son scénario, au lieu de jouer au malin - même si le cinéma qui joue au malin est bien dans l'air du temps, on le sait malheureusement. Elaguée, son histoire lui aurait permis de raccourcir un film qui ne fait que 1h50 mais semble interminable : 20 minutes et deux rebondissements en moins, et on aurait pu commencer à "parler de Cinéma". Et à s'intéresser un peu plus à un bon sujet qui ne transparaît ici qu'en filigrane : car le désir de ces femmes qui se haïssent et s'entretuent - ne serait-ce que symboliquement ou indirectement - n'est pas dirigé sur les hommes - tous abjects ici - mais constitue avant tout le moteur d'une lutte sans merci pour prouver qu'on est la plus forte, qu'on garde contrôle, sous les "Apparences".
Bref, il y avait là le potentiel d'un vrai bon film, à condition de dépasser les mécanismes usés du thriller bien policé, et de laisser soit la haine, soit l'émotion (ou peut-être les deux) donner vie à cette histoire. Ce n'est que dans les toutes dernières scènes que quelque chose advient enfin (en particulier grâce à la remarquable Evelyne Buyle...), et c'est beaucoup trop tard.
[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/09/28/les-apparences-de-marc-fitoussi-sexe-adulterin-et-crime-a-vienne/
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Créée
le 27 sept. 2020
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