S’il y a bien une adaptation d’Oliver Twist (1837) que je connais mieux que les autres, c’est celle de Fernando Ruiz. Il s’agit d’un film d’animation mexicain réalisé en 1987 et que peu de gens connaissent à mon avis. Je l’avais en cassette VHS quand j’étais petite et, encore aujourd’hui, il m’est difficile d’expliquer ce qui fait son attrait tant il est particulier et met mal à l'aise. Mais avant d’entamer ma critique, laissez-moi vous résumer l’histoire du film dans les grandes lignes :
Donc, sa mère étant morte en couches, le jeune Oliver Twist est confié à l’hospice paroissial, au nord de Londres, où il grandit avec d’autres orphelins dans des conditions abjectes, sous la direction de la cruelle Mme Mann. À la suite de la visite de Mr. Bumble, il se retrouve, à neuf ans, transféré dans un nouvel hospice où il n’est malheureusement pas mieux traité et doit travailler dur. Un jour, il est désigné par ses camarades pour demander une ration supplémentaire lors d’un repas, acte de rébellion qui ne va pas plaire au conseil d’administration de l’établissement qui va l’envoyer au cachot. Mais la nuit où il est puni, Tuck, un employé de l’hospice, vient le chercher lui et trois autres garçons, dont son ami Swiffer, pour les emmener à Londres où ils sont embauchés par le vieux Fagin en tant que pickpockets. S’ensuit alors pour Oliver un parcours semé d’épreuves avant qu’il n’atteigne la félicité.
Comme ceux qui ont lu le roman de Dickens – ou le connaissent approximativement - peuvent le constater, l’histoire a été remaniée pour des raisons compréhensibles, le film s’adressant surtout aux enfants. Des personnages ont dû être supprimés et des évènements modifiés. Mais à mon sens, ça ne nuit en rien à l’ampleur de l’histoire, au plaidoyer contre la misère qu’elle représente, ni au réalisme qui s’en dégage.
Dès le départ, après que le narrateur (superbe Bernard Tiphaine) a présenté Charles Dickens et son œuvre, une ambiance mélancolique s’instaure tandis que l’on assiste, post-générique, aux derniers souffles de la mère du héros, lors d’une nuit pluvieuse. Bien que non montré, son trépas est symbolisé par une bougie qui achève de se consumer, et c’est largement suffisant pour signifier que son bébé est né sous une mauvaise étoile.
D’ailleurs, j’apprécie comment sont exploités les thèmes de la mort et de la violence : nul besoin d’en montrer trop, mieux vaut suggérer. Et ça marche ! Par exemple, quand j’étais petite, il y avait une scène qui me choquait, alors qu’on ne voit pourtant pas l’action en elle-même :
c’est celle de l’agression de Nancy par Sikes. Elle est mise en scène à travers leurs silhouettes sur un mur et des effets de caméra subjective qui donnent l’impression que c’est nous (le public) qui sommes roués de coups, et ça rend bien, très bien.
Ainsi, même éludés, les épisodes illustrant la mort et la violence font l’effet escompté, ce qui dénote de bonnes décisions prises pour la narration selon moi.
Comme dans le livre, on assiste bel et bien à un chemin de croix pour notre jeune héros qui, plongé dans un système continuel d'oppression, se retrouve confrontés à des individus peu recommandables. En tête d’affiche, il y a bien sûr Bill Sikes, qui est figuré comme un caïd cruel et dangereux. Doublé par Michel Fortin (dont la voix ressemble légèrement à celle de Claude Bertrand), il apparaît très intimidant, et sa musique d’accompagnement fait frissonner. On compte aussi Fagin, excepté que lui bénéficie d’un traitement différent. Il est tellement tourné en ridicule qu’il devient en fait un comic relief. Véritable caricature du Juif cupide et manipulateur, celui-ci est présenté comme un vieil escroc au nez crochu et au teint jaune verdâtre à qui il n’arrive que des poisses. Quand il n’est pas piégé par les farces et attrapes de ses jeunes recrues, il est mordu au postérieur par un chien ; quand il ne se brûle pas la main, il est malmené par son coéquipier Sikes. Bref, c’est un criminel doublé d’une victime pitoyable. Et ce n’est pas le seul vilain à être discrédité par la voie du comique. On trouve aussi Tuck et le cuisinier, des employés de la maison de travail, qui en prennent pour leur grade lorsqu’ils pourchassent Oliver après qu’il a demandé du rab : une scène un peu trop cartoonesque à mon goût et qui s’étend inutilement mais inoffensive en soi (puis faut bien agripper les plus jeunes).
Sans être des assassins, d'autres personnages sont dépeints de façon qu'on les déteste et veuille leur chute. Je pense notamment au conseil d’administration de l’hospice, qui siège dans ce qui a l’air d’une salle d’audience obscure, presque surréelle car sans profondeur et résonnante ; quand Oliver y est introduit, les membres du conseil, perchés en haut d’énormes pupitres en bois, vocifèrent contre lui comme s’il était un criminel au banc des accusés, ce qui conduit notre pauvre héros à faire un cauchemars peu après. Je trouve ces scènes marquantes car non seulement il y a un effet sur les perspectives qui induit qu’Oliver est totalement impuissant face à eux, mais elles donnent à voir des gens exerçant la pression psychologique sous prétexte de bonne foi et de justice, ce qui rend le camp des méchants insidieux. C'est ce qu'on appelle de l'ironie bien noire, comme savait l'utiliser Charles Dickens pour dénoncer l'hypocrisie des œuvres de charité et des soi-disant sages.
Comme figure antipathique, on peut également inclure Sally, l’infirmière du début, qui dérobe un médaillon en or à la mère d’Oliver : un acte ignoble qui entraînera des répercussions. Puis il y a aussi Mme Mann, la responsable de l’hospice où nait Oliver, qui sous-alimente ses petits pensionnaires, à son profit.
Pour faire court, les antagonistes, qu'ils soient centraux ou mineurs, ne manquent pas dans cet univers, ce qui rend d’autant plus compliqué pour Oliver de faire son chemin. Mais ils finissent presque tous par payer leur vilenie, ce qui donne un schéma assez manichéen des camps des "méchants" et des "gentils", mais qui reste néanmoins fidèle à ce que Dickens a imaginé, ainsi qu'à son esprit sarcastique et sentimentaliste (que des critiques de son temps lui ont d'ailleurs reproché). Et au moins, on est sûr que les plus jeunes spectateurs s’y retrouvent et sachent quelle voie emprunter.
Quant aux personnages des gentils, je les trouve pas mal dans l’ensemble. Oliver se présente ici comme un blondinet angélique à qui la naïveté joue des tours, sans plus. Il est passif avec un bon fond, comme attendu. Je suis juste ennuyée par son doublage français, le pourtant talentueux Thierry Bourdon ayant la fâcheuse tendance à faire geindre le personnage et à lui faire pousser des « Oooh/Aaaah ! » pas très naturels à des moments qui auraient été mieux silencieux. À croire qu’il se passait des choses caliente dans le studio de doublage pour que Mr. Bourdon gémisse comme ça. Blague à part, c’est la seule plainte que je formulerais au niveau des doublages français, lesquels sont quand même corrects. Par exemple, Nancy bénéficie d’une voix douce (Jane Val) qui rend à merveille son côté protecteur et quasi maternel. Son « métier » de prostituée n’étant pas explicité, elle est représentée comme une paumée vectrice de moralité au sein du gang de Fagin, sa gentillesse prévalant contre ce qu’elle serait susceptible d’évoquer. Pour Renard, le chef de la bande de pickpockets, c’est la voix du talentueux Luq Hamet que l’on entend. Prenant vie sous les traits d’un rouquin farfelu et malicieux qui aime amuser la galerie, souvent aux dépens de Fagin, Renard s’inscrit comme la touche de légèreté dont le récit à besoin par moment. Je n’en dirais pas autant du hamster apprivoisé de Oliver, Harrison, sur lequel on a tendance à trop s’attarder à mon goût, juste parce qu’il est mignon et fait des gaffes, mais bon.
Comme autre type de gentils, n’oublions pas de parler des riches qui, en l’occurrences, ne persécutent pas les pauvres, au contraire ! Mr. Brown(s)low s’affiche d’emblée comme un bourgeois respectable et généreux qui veut aider Oliver, lui offrant le gite et le couvert dès leur rencontre. Et Mme Bedwin, sa gouvernante, apparaît bienveillante comme il se doit. Idem concernant la belle Rose Maylie (doublée par Hélène Otternaud) qui recueille le garçon après qu’il s’est fait tirer dessus. Evidemment, de fil en aiguille, la vérité sur l'identité d’Oliver Twist se précise et ses nouveaux amis se révèlent bien plus proches de lui qu’il n'y paraît. Ça aboutit à une situation de tension assez bien fichue entre les protecteurs d’Oliver (guidés par une certaine informatrice) et Sikes qui cherche à l'éliminer.
Mais, comme il est clairement établi tout le long du film (et dans le livre), les méchants finissent par récolter ce qu’ils sèment, et le film se clôt par un happy end de rigueur, accompagné d’un joli chant de Noël entonné par les personnages.
En somme, bien que le film omette des passages du livre (comme la partie avec le croque-mort) par soucis d'intelligibilité et de durée, il n’en reste pas moins fort en émotions et en symbolisme. On ne peut être qu'affecté par le sort de cet orphelin qui, en dépit des malheurs qu’il a subi et des fréquentations qu’il a eues, se montre sensible et étonnamment raffiné (il n'emploie et ne comprends pas les mots d'argot comme "chaparder", "faucher"). Bon, je persiste à dire que son doublage n'est pas fameux mais voilà, il reste nettement plus supportable que ce qui constitue pour moi le plus gros défaut du film, et le plus visible : l’animation.
Mon Dieu, que l’animation est pauvre ! C’en est perturbant. Elle n'est pas nulle, mais elle est pauvre. Mis à part Oliver pour qui les dessinateurs se sont appliqués et quelques de ses proches jugés purs, les personnages ne sont pas toujours agréables à regarder en raison de leur pâleur et de leurs traits grossiers. Et pour peu qu’ils soient correctement dessinés, il arrive qu'on tombe sur des plans où ils se payent des proportions bizarres. Pour couronner le tout, leurs mouvements corporels, que ce soit quand ils sautent, chutent ou courent, sont la plupart du temps très mal animés, ce qui donne l’impression que la moindre action se passe au ralenti alors qu’on (le public) est conscient que non.
Enfin, vous l’aurez compris, ce film fut réalisé avec un maigre budget, d’où son aspect rudimentaire. Heureusement, la narration redresse la barre en relayant comme il faut les messages chers à Dickens sur les droits des enfants et l’importance de la compassion envers les démunis, entre autres.
Dernier point : les musiques et chants agrémentent avec justesse l'essence mélodramatique du film, et ce dès le générique d'ouverture où se fait entendre un chant espagnol qui, en dépit de sa beauté, ne présage rien de très réjouissant, forcément.
En définitive, je choisis de retenir avant tout les qualités de cette adaptation animée de l'œuvre de C. Dickens, laquelle est, certes, imparfaite, mais se laisse regarder sans déplaisir et éveille ma nostalgie à coup sûr. 6/10