Je suis un peu plus convaincu par celui-ci que par son surestimé 3 Bilboards, mais je ne peux pas m'empêcher de ressentir la même ambivalence scénaristique dans les deux cas. Surenchère de la vengeance, conflit de voisinage qui dégénère en règlement de compte punitif, vision assez archaïque de la loi et de l'ordre, sur fond de séparatisme racial (dans le premier film) ou territorial dans ce Inisherin.
Cinématographiquement, celui-ci est tout de même plus maîtrisé. Collin Farel et Brendan Gleeson sont des olibrius délicieusement aux antipodes l'un de l'autre et c'est assez délectable d'excentricite et de mutisme. On sent une réelle complicité entre eux et la mise en scène les fait volontairement briller. La troupe d'incompétents notoires qui les accompagnent sont également d'une belle absurdité, en totale cohérence avec l'humour décalé du long métrage. Splendides paysages irlandais filmés sous toutes les coutures, avec en prime une merveilleuse photographie ocre parfaitement accordée aux sombres destinées des différents protagonistes. Les thématiques illustrées par le scénario permettent une vision assez juste de la lutte fratricide de ces deux Irlande catholiques et protestantes des années 20. De même que cette sorcière divinatoire qui metaphorise la mort des illusions fraternelles en écho aux légendes gaéliques partagées par les provinces britanniques de ce siècle.
Le terreau est donc idéal pour une tragi comédie réussie, et c'est en partie le cas. Le film traîne parfois un peu trop en longueur et la répétition comique des joutes oratoires finit par quelque peu lasser. Et surtout cette propension à survaloriser la barbarie comme seule issue envisageable aux incompréhensions revient comme un leitmotiv idéologiquement assez douteux.