Un ogre respecte-t-il « les bonnes manières » ? On ne s’étonnera pas de voir ici le protocole quelque peu bousculé et les différents genres cinématographiques se mêler, s’enchaîner les uns aux autres sans souci des barrières les séparant par leur nomenclature, voire les hiérarchisant.
Le film s’ouvre comme un drame social. Toutefois, l’esthétisme forcené et les panneaux d’ouverture, en intertitres à l’ancienne, annoncent un décalage, une échappée au réalisme strict que le scénario affiche d’abord : de fait, une infirmière à domicile, Clara (extraordinaire Isabél Zuaa, tout en délicatesse et intensité contenue), pauvre et vraisemblablement inexpérimentée, trouve, contre toute attente, à se faire embaucher auprès d’Ana (Marjorie Estiano, personnalité médiatique au Brésil), afin d’accompagner sa nouvelle et excentrique employeuse dans sa grossesse puis dans cette première maternité.
Le magnétisme qui circule d’emblée entre les deux femmes, puis la pleine lune qui libère les instincts, vont faire souffler sur l’intrigue un vent de folie qui va l’entraîner loin de son axe initial et lui faire côtoyer l’érotisme lesbien, puis le film de genre, avec le surgissement du thème du loup-garou, que l’on découvre très actif au Brésil, toujours attaché à la notion d’un péché commis en amont. Le dessin animé sera très subtilement convoqué pour éclairer la conception mystérieuse de l’enfant.
Le rythme et la plongée dans le film de genre se font de plus en plus résolus, endiablés, à partir de la naissance de l’enfant. Les deux réalisateurs et co-scénaristes, Juliana Rojas et Marco Dutra, n’hésitent alors plus à recourir aux effets spéciaux, moyen qui charmera peut-être une partie du public mais aurait, aux yeux d’une autre, gagné à être contourné... Dès lors, le film, haut en couleurs, bariolé comme un ogre latin, n’en finit pas d’accoucher d’avatars de lui-même, sous la forme de sous-genres plus ou moins monstrueux, du gore-qui-se-veut-discret à la comédie musicale rendant légitimement hommage aux beaux chants caressants du pays, façon « Orfeu Negro » (1959) ; mais, là encore, les passages chantés se détournent de la pureté et de l’authenticité qu’avaient ceux de Marcel Camus.
Cet objet cinématographique débordant d’énergie, né de la complicité de deux cinéastes, reste intéressant, louablement éloigné des divers formatages auxquels nos yeux sont souvent tristement habitués. Mais on reste dubitatif devant le caractère fuyant de son propos : éloge de la libération des instincts, qui pourrait seule permettre d’accéder au bonheur, selon la première partie ? Démonstration imparable de la non-viabilité sociale de cette libération, selon la seconde... On regrette qu’un message plus optimiste ne puisse être confié au très charmant Miguel Lobo, que la Lune avait sans doute destiné à incarner de façon si convaincante cet enfant-loup, puisque son patronyme signifie « loup », en portugais... Un enfant qui a sa place au Panthéon des grands enfants du cinéma, aux côtés de David Bennent, dans « Le Tambour » (1979), ou de Max Baissette de Malglaive, dans « Versailles » (2008)...