Dans certains univers il existe des créatures capables de se métamorphoser, de s’adapter aux situations, d’évoluer, si bien qu’on a du mal à les étudier.
C’est un Alien qui change sans arrêt de taille, c’est une Mystic qui peut prendre n’importe quelle apparence, un homme qui devient invisible, un autre qui ne vieillit pas ou qui se transforme en chauve souris, et pourquoi pas, en loup garou.
Ces êtres métamorphes nous fascinent autant à travers un écran de cinéma qu’ils nous terrorisaient si on devait leur faire face. Ils défient nos acquis, nous obligent à appréhender des choses impossibles.
Cette difficulté pour nos cerveaux cartésiens à comprendre l’étrange, le fuyant, le mouvant, c’est celle qu’on éprouve face au film “les bonnes manières”.
Pas parce qu’il est question d’un humain changeant, mais parce que le film en lui même est protéiforme.
Il s'affranchit des cases, il mélange les légos de plusieurs boîtes pour construire un vaisseau qui n’a pas les proportions habituelles, qui ne correspond pas à nos habitudes, mais qui permet de bien s’amuser, de renouveler le jeu, de réapprendre le plaisir de la découverte.
Voir le film lors d’une séance à l’aveugle a renforcé la difficulté à se l’approprier: parce qu’il tarde à révéler son côté surnaturel et que la surprise arrive un peu comme un cheveu sur la soupe.
Dès le début le film décontenance: de jolis panneaux, une boîte à musique, on pourrait pencher pour le conte de fée mais la première demi-heure se concentre sur la femme de couleur qui se retrouve employée de maison/soignante d’une jeune fille à papa enceinte et capricieuse.
Quelques passages sur les pentes de l’humour, de jolis plans soignés, des décors majoritairement réalistes mais avec à chaque fois une pointe d’autre chose: ce sont les ombres d’une grille projetées sur un mur qui évoquent les 1001 nuits, une ville remodelée pour le film aux accents futuristes, un ciel peint féérique, une boite à musique anachronique, … Une foule de détails qui font qu’on a du mal à trouver la cohérence.
L’histoire entre les deux femmes est sympathique et on attend de voir où elle nous emmène jusqu’à ce que soit révélé le noeud du film: la nature du bébé.
Faut-il voir dans la place que prend le bébé une image de la façon dont la maternité transforme aussi bien la femme qui devient mère que son environnement? Voilà une vision inquiétante pour les futurs ou jeunes parents. D’un autre côté on sait combien l’arrivée d’un enfant influe sur son entourage.
Toujours est-il qu’une fois que le film a révélé sa nature, on accepte mieux tous les éléments qui jusque là n’avaient rien à faire dans un univers réaliste: on apprécie même l’utilisation du dessin pour raconter l’origine du mal, notre curiosité est piquée, on en veut plus.
Et puis le film n’en fini plus d’osciller entre les bons moments, ceux pendant lesquels on arrive à entrer dans l’histoire, à comprendre les personnages, où on arrive à se projeter dans ce qu’ils vivent, et les instants loupés, ceux où on se demande si les rires qu’on étouffe sont voulus ou si on est en train de se moquer d’un travail sincère et sérieux.
Ne pas savoir à quoi on fait face, c’est déstabilisant.
On aimerait pouvoir dire qu’on arrive à s’affranchir de nos préjugés face au film mais il est bien difficile d’ordonner à son esprit d’accepter quelque chose sans essayer de le rattacher à ce qu’il comprend, ce qu’il connaît.
Avec un peu de recul on peut voir que l’évolution des bonnes manières rejoint celle de la créature: il est capable d’apporter le meilleur, et parfois il dévie, il devient incontrôlable, on n’arrive plus à le comprendre, on ne contient plus la crainte qu’il nous inspire.
Reste que malgré ses moments d’égarement, malgré la difficulté à définir ce qui nous dérange, les bonnes manières présente l’avantage d’être atypique et de représenter une vraie découverte, de proposer quelque chose de neuf, d’imposer son style qui ne se cantonne pas à un genre mais les mélanges, avec plus ou moins de réussite mais toujours avec beaucoup de bonne volonté, et c’est toujours plaisant de faire face à un travail qu’on imagine sincère.