Putain,ça marche à tous les coups!On s'installe devant l'écran et dès que démarrent les premières notes du "Sea,sex and sun" de Gainsbourg,titre parfaitement adéquat en l'occurrence,sur des images aériennes de plages ensoleillées et de cases à touristes,on a la banane et on sait qu'on va passer un foutu bon moment."Les bronzés",c'est le coup d'envoi de la prodigieuse aventure cinématographique d'une bande de copains qui s'étaient rencontrés au Lycée Pasteur de Neuilly,avaient suivi les cours de théâtre de Tsilla Chelton,Tatie Danielle en personne,s'étaient rodés en étant animateurs dans les Clubs Med,avaient fondé le Splendid,devenu le meilleur café-théâtre parisien,où ils jouaient leurs pièces tout en faisant des panouilles dans quelques films.Et puis en 74 Yves Rousset-Rouard,l'oncle de Christian Clavier,s'est lancé dans la production avec un film érotique qui remporta un succès triomphal.C'était "Emmanuelle".Devenu un producteur connu,il décida en 78 de porter à l'écran une pièce intitulée "Amour,coquillages et crustacés",écrite par son neveu et sa bande de potes,que l'équipe jouait dans le théâtre dont elle était actionnaire avec Rousset-Rouard,le Splendid donc.La réalisation de l'oeuvre,inspirée de l'expérience des comédiens au Club Med,fut confiée à un jeune réalisateur pas encore célèbre nommé Patrice Leconte,qui coécrivit le script avec ses acteurs.De bons professionnels furent engagés,Michel Bernholc signant une joyeuse musique,Jean-François Robin une photo lumineuse et la monteuse Noëlle Boisson contribuant largement à la fluidité de l'enchaînement harmonieux de scènes qui rythment cette chronique hilarante des vacances sénégalaises d'un groupe de français en goguette.Il s'agit plus ou moins d'une suite de sketches mais la précision de l'écriture,les situations insolites,les personnages décalés et fortement caractérisés ainsi que l'humour ravageur de dialogues énormes font du film un classique indéboulonnable de la comédie française,d'autant que le tout est porté par des acteurs extraordinairement à l'aise dans des rôles qu'ils avaient déjà beaucoup tenus sur les planches.Le scénario est très habile dans sa gestion des nombreux protagonistes,qui sont judicieusement alternés et dont les interactions sont finement ciselées.Au-delà de ce monument de la marrade,on perçoit en creux un beau portrait de la société française de ces seventies finissantes,entre mouvement hippie à l'agonie et matérialisme eighties qui pointe à l'horizon.Nos bronzés errent dans ce no man's land social fait de débauche effrénée héritée de la révolution sexuelle,d'hypocrisie malveillante,de rapprochements favorisés par cette promiscuité du bout du Monde,d'esprit festif obligatoire et d'activités diverses inspirées des modes en cours.Ca drague et ça baise dans tous les coins,des clans se forment,des amitiés naissent au milieu des spectacles assurés par les G.O.,des soirées dancing,des baignades dans l'océan ou à la piscine,des mauvaises blagues de l'encadrement,des cours de karaté,de ski nautique,de dessin ou de plongée.Chacun tente à sa façon de profiter et de s'adapter à l'ambiance.Bernard et Nathalie font semblant d'incarner le couple moderne libéré sexuellement alors qu'ils n'ont ni l'un ni l'autre envie d'être trompés,Jérôme,médecin prétentieux,pousse jusqu'à l'exhibitionnisme son désir de paraître avec ses mini maillots de bains "poils pubiens apparents" ou en récitant du Saint-John Perse en string,Gigi est une jolie cruche rêvant à l'amour,Christiane une esthéticienne coincée mais en manque,et l'inénarrable Jean-Claude Dusse fait exploser le compteur de la rigolade avec ses plans drague éternellement foireux et ses réflexions à hurler de rire.Et puis flotte dans l'air le délicieux parfum de la France décontractée d'autrefois,celle où l'on fumait des clopes à la chaîne,où l'on commerçait en francs et où prévalait un machisme totalement décomplexé.Tous les mecs dans le film considèrent les femmes comme du pur gibier,et les nanas en sont ravies.Le plus performant à cet égard est l'incroyable moniteur de sport du camp,Popeye,un play-boy complètement obsédé par la bagatelle,qui nous sort des punchlines magiques style "je me suis niqué plus de 80 gonzesses depuis le début de la saison,et j'ai l'impression que tu vas être dans les 10-15 premières!",ou qui pèse ses conquêtes à leur insu pour ensuite se vanter d'avoir "niqué 3827 kilos de gonzesses".La plupart des répliques du film sont cultes et à crever de rire mais peu passeraient la censure aujourd'hui car il y a de quoi faire hurler à la mort les chaisières du néo-féminisme,à l'exemple de la chanson fétiche du village qui proclame sur l'air de "Darla dirladada" "viens nous voir à Galaswinda,y a du soleil et des nanas,on va s'en fourrer jusque-là".Tous les membres du Splendid sont des révélations instantanées et tous deviendront des stars,de Josiane Balasko en bourgeoise qui se taille une réputation de fille facile juste pour emmerder son mari joué par un Gérard Jugnot parfait en cocu faussement détaché,à Christian Clavier en frimeur superficiel,en passant par Marie-Anne Chazel,très rigolote en idiote à la cuisse légère ou Thierry Lhermitte en beau gosse ultra-machiste.Celui qui remporte la palme est le désormais regretté Michel Blanc,tout bonnement extraordinaire en pauvre gars moche et nul qui s'acharne pathétiquement à tenter de se rendre intéressant pour enfin se faire une fille.Les autres acteurs sont également au top avec Dominique Lavanant en laissée pour compte pour cause de physique médiocre,le pendant féminin de Jean-Claude,un Luis Rego émouvant en type gentil essayant de matérialiser un inaccessible rêve artistique,Michel Creton charismatique en petite vedette de one-man-show venue faire une pige au Club,le fantastique Bruno Moynot en boulet sinistre et désagréable,un Martin Lamotte sous-utilisé en prof d'arts plastiques un peu ridicule avec son accent espagnol,Guy Laporte et son look baba-cool,qui campe un chef de village très pro et plus rigide qu'il n'y parait,le gros Michel Such qui prend des tasses à répétition au ski nautique et la sculpturale allemande Doris Thomas qu'on retrouvera dans un autre rôle dans "Les bronzés font du ski".A noter que Gilbert Trigano,le patron du Club Med,n'a guère apprécié l'image de son entreprise renvoyée par le film et a refusé l'autorisation de tourner dans un de ses villages.Notes et critiques de films de Patrice Leconte publiées précédemment:voir critique "Les bronzés font du ski".Nouvelle moyenne:7,3.